Page:Œuvres de Schiller, Esthétiques, 1862.djvu/219

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Lettre VIII

Faut-il donc que la philosophie se retire de ce domaine, dé couragée et sans espoir ? Pendant que, dans toutes les autres directions, la domination des formes s’étend, ce bien le plus précieux de tous doit-il être abandonné au hasard informe ? La lutte des forces aveugles doit-elle durer éternellement dans le monde politique, et la loi sociale ne triompher jamais de l’égoïsme haineux ?

Pas le moins du monde. La raison elle-même, il est vrai, ne tentera pas directement la lutte avec cette force brutale qui résiste à ses armes, et, pas plus que le fils de Saturne dans l’Iliade , elle ne descendra sur le sombre champ de bataille pour y combattre en personne ; mais, parmi les combattants, elle choisit le plus digne, le revêt d’armes divines comme Jupiter en donne à son petit-fils, et, par sa force triomphante , elle décide finalement la victoire.

La raison a fait tout ce qu’elle peut faire, quand elle a trouvé la loi et qu’elle l’a promulguée ; c’est à l’énergie de la volonté, à l’ardeur du sentiment de l’exécuter. Pour sortir victorieuse de sa lutte avec les forces, la vérité doit d’abord elle-même devenir une force et faire d’un des instincts de l’homme son champion dans l’empire des phénomènes ; car les instincts sont les seules forces motrices dans le monde sensible. Si jus qu’à présent la vérité a si peu manifesté sa puissance victorieuse, cela ne dépend pas de l’intelligence qui n’aurait pas su la dévoiler, mais du cœur qui lui est demeuré fermé, et de l’instinct qui n’a point agi pour elle.