Page:Œuvres de Schiller, Histoire I, 1860.djvu/414

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à son entrée dans la carrière académique, n’aura pas d’affaire plus importante que de séparer soigneusement les études qu’il nomme professionnelles, de toutes celles qui ne charment l’esprit qu’en tant qu’esprit. Tout le temps qu’il consacrerait à ces dernières, il croirait le dérober à sa future carrière, et il ne se pardonnerait jamais un tel vol. Il réglera toute son application d’après ce qu’exige de lui le maître de son sort à venir, et croira avoir assez fait s’il s’est mis en état de ne pas craindre ce juge-là. Lorsqu’il a fini son cours et atteint le but de ses désirs, il laisse là les sciences qui l’y ont mené : à quoi bon demander encore leur assistance ? Désormais sa plus grande affaire est de faire montre des trésors accumulés dans sa mémoire et de se garder à tout prix qu’ils ne perdent de leur valeur. Toute extension nouvelle de la science qui le nourrit l’inquiète, parce qu’elle lui impose un nouveau travail ou rend inutile son travail antérieur ; toute innovation importante l’effraye, car elle brise la vieille forme scolastique qu’il s’est appropriée si péniblement, et l’expose à perdre le fruit de tous les efforts de sa vie passée. Qui a plus crié contre les réformateurs que la troupe de savants pour qui la science n’est qu’un moyen de vivre ? Qui arrête plus qu’eux, dans le domaine du savoir, le progrès des révolutions utiles ? Toute lumière portée par un heureux génie dans une science quelconque, rend leur pauvreté visible ; ils combattent avec amertume, duplicité, désespoir, parce que, en défendant le système de l’école, ils défendent en même temps leur existence. Aussi n’est-il pas d’ennemi plus irréconciliable, de collègue plus envieux, d’homme plus prêt à vous damner comme hérétique, que le savant de profession. Moins ses connaissances le récompensent par elles-mêmes, plus il cherche de compensations au dehors ; pour le mérite des manœuvriers et le mérite du travail intellectuel, il n’a qu’une seule mesure : la peine. Aussi l’on n’entend personne se plaindre plus de l’ingratitude que le savant de profession : ce n’est pas dans les trésors de ses pensées qu’il cherche son salaire ; il attend de la reconnaissance