stupidité se prosterne devant un ridicule fétiche ; ici, devant un horrible épouvantail : l’homme se peint dans ses dieux. Autant ici le courbent l’esclavage, la bêtise et la superstition, autant ailleurs il est méprisable par l’autre extrême, celui d’une liberté sans loi. Toujours armé pour l’attaque et pour la défense, épouvanté par le moindre bruit, le sauvage tend, dans le désert, une oreille timide ; il nomme ennemi tout ce qui est nouveau pour lui, et malheur à l’étranger que la tempête jette sur sa côte ! Il ne verra pas la fumée d’un foyer hospitalier, un doux accueil ne le réjouira pas.
Mais là même où l’homme s’est élevé d’une solitude hostile à l’état de société, du dénuement à l’aisance, de la crainte à la joie, qu’il se montre encore étrange et monstrueux à nos égards ! Son goût cherche la joie dans l’étourdissement, le beau dans les contorsions, la gloire dans l’exagération ; sa vertu même excite notre horreur, et ce qu’il appelle sa félicité ne peut nous inspirer que dégoût et pitié.
Nous fûmes tels. César et Tacite, il y a dix-huit cents ans, ne nous trouvèrent pas dans un état bien supérieur à celui-là.
Que sommes-nous maintenant ? Laissez-moi m’arrêter un moment devant le siècle où nous vivons, devant la forme actuelle du monde où nous habitons.
Le travail de l’homme l’a cultivé ; il a vaincu la résistance du sol par sa constance et son habilité. Ici, il a gagné du terrain sur la mer ; là il a donné des cours d’eau à la terre aride. L’homme a confondu les zones et les saisons, et endurci, acclimaté à son ciel plus rude les plantes délicates de l’Orient. De même qu’il a transporté l’Europe dans les Indes occidentales et la mer du sud, il a fait renaître l’Asie en Europe. Un ciel serein rit aujourd’hui aujourd’hui au-dessus des forêts de Germanie, que la main robuste de l’homme a déchirées et ouvertes aux rayons du soleil, et les vignes de l’Asie se reflètent dans les ondes du Rhin. Sur ses bords, s’élèvent les cités populeuses, qui, dans une allègre activité, retentissent du bruit du plaisir et du travail. Nous y trouvons l’homme en paisible possession de ce qu’il a acquis, en sûreté parmi des millions de semblables, lui à qui jadis un seul voisin ravissait le sommeil. L’égalité qu’il a perdue en entrant dans la société, il l’a regagnée par de sages