Page:Œuvres de Schiller, Histoire I, 1860.djvu/425

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nous les payons, beaucoup de nos médicaments les plus efficaces, et tout autant d’instruments nouveaux de notre perte, ne présupposent-ils pas un Colomb qui ait découvert l’Amérique, un Vasco de Gama qui ait doublé la pointe de l’Afrique ?

Ainsi une longue chaîne d’évènements, dont les anneaux entrent les uns dans les autres comme causes et effets, s’étend du moment actuel jusqu’au commencement de l’espèce humaine. L’intelligence infinie peut seule en embrasser totalement l’ensemble ; des limites plus étroites sont posées à l’homme : 1— Un nombre innombrable de ces évènements ou bien n’ont eu aucun témoin, aucun observateur humain, ou n’ont été fixé par aucun signe. Tels sont ceux qui ont précédé l’espèce humaine elle-même et l’invention des signes. La source de toute histoire est la tradition, et l’organe de la tradition est la langue. Toute l’époque antérieure à la langue, quelque riche qu’elle ait été pour le monde, est perdue pour l’histoire du monde.

2— Même après que la langue eut été inventée et que par elle il fut possible d’exprimer et de transmettre des faits accomplis, cette transmission ne se fit d’abord que par la voie incertaine et variable de la tradition orale. Un évènement ainsi transmis se propageait de bouche en bouche, à travers une longue suite de générations, et, comme il passait par des milieux variables et qui varient les choses, il dut être altéré par ces variations. La tradition vivante et la narration orale est donc une source très incertaine pour l’histoire : aussi tous les évènements antérieurs à l’usage de l’écriture sont-ils comme perdus pour l’histoire du monde.

3-Mais l’écriture elle-même n’est pas impérissable : d’innombrables monuments de l’antiquité ont été détruits par le temps et par des accidents divers, et un petit nombre de débris seulement se sont conservés depuis les temps anciens jusqu’à la découverte de l’imprimerie. La partie incomparablement la plus considérable de ces documents, et des éclaircissements qu’ils devaient nous donner, est perdue pour l’histoire du monde.

4-Enfin ce petit nombre d’évènements dont le temps a épargné le souvenir, la plupart ont été altérés et rendus méconnaissable