Page:Œuvres de Schiller, Poésies, 1859.djvu/342

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Ne lui demandes-tu que des fruits, l’art mortel peut aussi les produire : qui prétend à la déesse, ne doit pas chercher en elle la femme. »


LA DANSE[1]


Vois tourner d’un pas flottant les couples, balancés comme les vagues ! Le pied ailé effleure à peine le sol. Vois-je des ombres fugitives délivrées du poids des corps ? des sylphes qui, au clair de lune, entrelacent leur ronde aérienne ? Comme, bercée par le zéphyr, la fumée légère se balance sur les flots argentés, ainsi le pied docile bondit sur la vague mélodieuse de la cadence ; le son des cordes murmurantes soulève les corps éthérés.

Soudain, comme s’il voulait rompre de force la chaîne de la danse, un couple hardi, là-bas, s’élance au plus épais de la ronde. Devant lui se fraye subitement le passage, qui, derrière lui, disparaît ; il semble qu’une main magique lui ouvre et lui ferme le chemin. Vois ! à l’instant il s’est évanoui aux regards : dans un fougueux pêle-mêle croule et se confond l’élégante structure de cette mobile création… Non ! le voilà qui flotte encore et ressort triomphant ; le nœud se débrouille ; l’ordre n’a fait que se rétablir avec un nouvel attrait. Toujours détruit, ce monde tourbillonnant se reproduit toujours, et une loi muette dirige le jeu de ces métamorphoses. Parle ! d’où vient que les figures vacillent, sans cesse renouvelées, et que le repos subsiste dans ce mouvant tableau ? que chacun, maître et libre, n’obéit qu’à son propre cœur, et, dans cette course rapide, trouve l’unique chemin ? Veux-tu le savoir ? C’est la puissante déesse de l’harmonie

  1. Almanach des Muses de 1796.