Page:Œuvres de Spinoza, trad. Appuhn, tome I.djvu/245

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qu’il ne m’apparaît et autres propositions semblables. Une chose enfin est perçue par sa seule essence quand, par cela même que je sais quelque chose, je sais ce que c’est que de savoir quelque chose ou quand, par la connaissance que j’ai de l’essence de l’âme, je sais qu’elle est unie au corps. C’est de cette sorte de connaissance que nous savons que deux et trois font cinq et que deux lignes parallèles à une troisième sont parallèles entre elles, etc. Très peu nombreuses toutefois sont les choses que j’ai pu jusqu’ici connaître d’une connaissance de cette sorte.

(16) Pour faire mieux entendre tout ce qui précède je me servirai enfin d’un exemple unique : Soient donnés trois nombres ; on en cherche un quatrième qui soit au troisième comme le second est au premier. Des marchands diront ici mainte fois qu’ils savent ce qu’il faut faire pour trouver ce quatrième nombre parce qu’ils n’ont pas encore oublié le procédé que sans démonstration ils ont appris de leurs maîtres. D’autres de l’expérience des cas simples tirent un principe universel : il arrive que le quatrième nombre soit connu comme dans la proportion 2, 4, 3, 6, et l’expérience montre qu’en divisant par le premier le produit du second et du troisième, on a comme quotient le nombre 6 ; obtenant par cette opération le même

    soin, on tombera aussitôt dans l’erreur : quand on conçoit les choses de cette façon abstraite et non pas leur véritable essence l’imagination vient en effet aussitôt produire des confusions. Car les hommes se représentent par l’imagination ce qui est un, comme multiple : aux qualités conçues abstraitement, séparément, confusément, ils donnent des noms qu’ils emploient pour désigner d’autres choses plus familières ; par où il arrive qu’il imaginent les unes de la même façon que les autres auxquelles ils ont d’abord appliqué ces noms.