Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome I.djvu/10

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seulement au nombre et à la qualité des amis, mais aussi au nombre et à la qualité des adversaires. J’ai nommé Malebranche, Fénelon, Leibnitz, tout ce qu’il y avait de plus grand parmi les philosophes. Il faut citer maintenant les plus illustres théologiens, Huet[1], Richard Simon[2], Abbadie[3]. Ceux-ci regardent peu à l’Éthique ; c’est au traité Théologico-politique, à cette dangereuse et libertine critique des saintes Écritures, qu’ils ont affaire. Bossuet ne veut point se commettre avec Spinoza ; mais il conseille et presse Lami[4].

Au xviiie siècle, la scène change, et il semble que tout ce qui avait perdu Spinoza dans un siècle de discipline et de foi va faire sa fortune à une époque d’incrédulité et de hardiesse. Les choses ne se passèrent pourtant point ainsi. Il y a deux hommes dans Spinoza : le libre penseur du Théologico-politique pour qui les prophéties ne sont que des illusions ou des symboles, les miracles des paraboles ou des faits naturels, Moïse un grand politique, Jésus-Christ, une âme sainte et le premier des sages ; il y a ensuite le philosophe de l’Éthique, qui décrit la nature de Dieu, explique l’univers, en découvre les premiers ressorts, en dévoile le mécanisme, sonde toutes les profondeurs, pénètre tous les mystères, n’ignore de rien, ne doute de rien, développe enfin dans l’ordre inflexible des géomètres et sous les formules invariables d’un style algébrique le dogmatisme le plus tranchant, le plus vaste, le plus exclusif qui fut jamais. Le xviiie siècle comprit et suivit le théologien, ou plutôt l’hérétique dans Spinoza ; il dédaigna le métaphysicien.

  1. Dans la Démonstration Évangélique.
  2. Dans l’Histoire critique du Vieux Testament.
  3. De la vérité de la Relig. chrét., chap, vii et viii.
  4. Œuvres de Bossuet, édit. de Besançon, tome XVII, lettre 145.