Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/324

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chercher de toute manière à y échapper. D’où nous concluons qu’aucun pacte n’a de valeur qu’en raison de son utilité ; si l’utilité disparaît, le pacte s’évanouit avec elle et perd toute son autorité. Il y a donc de la folie à prétendre enchaîner à tout jamais quelqu’un à sa parole, à moins qu’on ne fasse en sorte que la rupture du pacte entraîne pour le violateur de ses serments plus de dommage que de profit ; c’est là ce qui doit arriver particulièrement dans la formation d’un État. Si tous les hommes pouvaient facilement se laisser conduire par la raison et reconnaître combien le choix d’un tel guide importerait à l’utilité et à l’intérêt de l’État, non-seulement chacun aurait la fourbe en horreur, mais tous, animés du désir sincère de réaliser ce grand objet, savoir, la conservation de la république, resteraient fidèles à leurs conventions et garderaient par-dessus toutes choses la bonne foi, ce rempart de l’État. Mais tant s’en faut que tous les hommes se laissent toujours guider facilement par la raison que chacun au contraire est entraîné par son désir, et que l’avarice, la gloire, l’envie, la colère, etc., occupent souvent l’esprit de telle manière qu’il ne reste aucune place à la raison ; aussi on a beau vous promettre avec toutes les marques de sincérité et s’engager à garder sa parole, vous ne pouvez cependant y avoir une confiance entière, à moins qu’il ne se joigne à cette promesse quelque autre gage de sécurité, puisqu’en vertu du droit naturel chacun est tenu d’user de ruse et dispensé de garder ses promesses, si ce n’est dans l’espoir d’un plus grand bien ou dans la crainte d’un plus grand mal. Mais puisque nous avons déjà fait voir que le droit naturel n’est déterminé que par la puissance de chacun, il s’ensuit qu’autant on cède à un autre de cette puissance, soit par force, soit volontairement, autant on lui cède nécessairement de son droit, et par conséquent que celui-là dispose d’un souverain droit sur tous qui a un souverain pouvoir pour les contraindre par la force et pour les retenir par la crainte du dernier supplice si