Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/362

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étaient remises sous la sauvegarde du pontife, qui les conservait dans le sanctuaire et les interprétait au peuple. Ils étaient donc soumis comme leurs sujets à l’empire des lois ; ils ne pouvaient les abroger, ni en instituer de nouvelles et leur conférer la même autorité qu’aux anciennes. Et puis, le droit des Lévites défendait aux rois comme aux sujets, profanes qu’ils étaient, d’administrer les choses sacrées ; de plus, ils se trouvaient avec toute leur puissance à la merci du caprice du premier homme qui se faisait reconnaître pour prophète, comme il est arrivé en plusieurs rencontres. On sait avec quelle liberté Shamuel donnait ses ordres à Saül, et avec quelle facilité, pour une seule faute, il transporta le pouvoir dans les mains de David. Les rois voyaient donc un autre pouvoir contre-balancer sans cesse leur autorité, et n’avaient qu’une autorité précaire. Pour surmonter ces obstacles, ils imaginèrent d’élever d’autres temples aux dieux ; car de cette façon ils n’étaient pas obligés de consulter les Lévites, et de chercher des hommes qui voulussent bien prophétiser en leur faveur au nom de Dieu, afin de les opposer aux vrais prophètes. Mais, malgré tous leurs efforts, ils n’obtinrent jamais l’objet de leurs vœux. En effet les prophètes, prêts à tout, attendaient le moment favorable, un nouveau règne, par exemple, toujours précaire, tant que subsiste le souvenir du précédent : alors ils suscitaient facilement quelque roi revêtu de l’autorité divine, renommé par ses vertus, et qui venait revendiquer le droit divin, et s’emparer légitimement ou du pouvoir tout entier, ou d’une partie du pouvoir. Mais les prophètes n’obtenaient encore par ce moyen aucun résultat satisfaisant ; car s’ils chassaient de l’état un tyran, les causes de la tyrannie n’en subsistaient pas moins. Ils ne faisaient qu’acheter un nouveau tyran au prix de beaucoup de sang. Ainsi il n’y avait point de fin aux désordres et aux guerres civiles, les mêmes raisons subsistant toujours de violer le droit divin ; elles ne disparurent qu’avec l’État lui-même.