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V
LA VIE DE SPINOZA.

doctrine et les principes ridicules des rabbins juifs ne pouvaient être admis par un homme de bon sens, puisque ces principes sont établis uniquement sur l’autorité des rabbins mêmes, sans que ce qu’ils enseignent vienne de Dieu, comme ils le prétendent à la vérité, mais sans fondement et sans la moindre apparence de raison.

Il fut dès lors fort réservé avec les docteurs juifs, dont il évita le commerce autant qu’il lui fut possible ; on le vit rarement dans leurs synagogues, où il ne se trouvait que par manière d’acquit ; ce qui les irrita extrêmement contre lui, car ils ne doutaient point qu’il ne dût bientôt les abandonner et se faire chrétien. Cependant, à dire la vérité, il n’a jamais embrassé le christianisme, ni reçu le saint baptême ; et quoiqu’il ait eu de fréquentes conversations depuis sa désertion du judaïsme avec quelques savants mennonites, aussi bien qu’avec les personnes les plus éclairées des autres sectes chrétiennes, il ne s’est pourtant jamais déclaré pour aucune, et n’en a jamais fait profession.

Le sieur François Halma, dans la Vie de Spinoza[1], qu’il a traduite en flamand, rapporte, pages 6, 7 et 8, que les juifs lui offrirent une pension peu de temps avant sa désertion pour l’engager à rester parmi eux sans discontinuer de se faire voir de temps en temps dans leurs synagogues. C’est aussi ce que Spinoza lui-même a souvent affirmé au sieur Van der Spyck, son hôte, aussi bien qu’à d’autres, ajoutant que les rabbins avaient fixé la pension qu’ils lui destinaient à 1,000 florins ; mais il protestait ensuite que quand ils lui eussent offert dix fois autant, il n’eût pas accepté leurs offres ni fréquenté leurs assemblées par un semblable motif, parce qu’il n’était pas hypocrite et qu’il ne recherchait que la vérité. M. Bayle rapporte en outre qu’il lui arriva un jour d’être attaqué par un juif au sortir de la comédie, qu’il en reçut un coup de couteau au visage ; et quoique la plaie ne fût pas dangereuse, Spinoza voyait pourtant que le dessein du juif avait été de le tuer. Mais l’hôte de Spinoza aussi bien que sa femme, qui tous deux vivent encore, m’ont rapporté ce fait tout autrement. Ils le tiennent de la bouche de Spinoza même, qui leur a souvent raconté qu’un soir, sortant de la vieille synagogue portugaise, il vit quelqu’un auprès de lui, le poignard à la main ;

  1. C’est un extrait du Dictionnaire de Bayle.