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Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/141

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Elle voudrait surgir jusqu’au clair firmament
Afin d’y respirer largement, librement,
Entre la terre et Dieu, bien par delà les nues
Et les plaines d’azur, régions inconnues,
L’air limpide, l’air vierge, où jamais souffle humain
Ne passe, où l’ange seul retrouve son chemin;
Car elle manque d’air, mon âme, dans ce monde
Où la presse en tous sens de son étreinte immonde
Une société qui retombe en chaos,
Du rouge sur la joue et la gangrène aux os!
Il lui faudrait des monts aux cheveux blancs de neige,
De grands rochers à pic, trônes géants où siège,
Ayant pour marchepied le vertige et l’effroi,
La majesté muette et sombre du grand Roi.
Il lui faudrait la voix du tonnerre qui roule
Ses mugissements sourds comme des bruits de foule;
Le torrent qui bondit entre les rocs qu’il fond,
Se tord comme un damné dans l’abîme sans fond,
Jette ses forts abois qu’on entend d’une lieue,
Et, tout échevelé, semble la pâle queue
Du cheval de la mort au livre de saint Jean.
Il lui faudrait au soir la lune voyageant,
Non sur l’angle des toits, mais sur les cimes grêles
Des sapins déployant leurs bras comme des ailes,
Les arêtes des pics, et les tours du manoir
De leurs fronts ardoisés découpant le ciel noir.
— Elle n’a pas cela, mon âme, non pas même
L’humble petit coteau, la campagne qu’elle aime,
Le vallon frais et creux, les sveltes peupliers
Dont la bise de nuit berce les fronts pliés,
La chaumière des bois, poussant en bleus nuages
Son filet de fumée à travers les feuillages,
El dont le toit moussu porte sur son velours
Des fleurs tous les printemps, des pigeons tous les jours;