Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/195

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LXXX
Seulement quand ses yeux rencontraient cette toile,
Qu’aux regards étrangers cachait un épais voile,
Une larme furtive essuyée aussitôt
S’y formait ; un soupir du fond de sa poitrine
S’exhalait sourdement et gonflait sa narine.
Il fronçait les sourcils, mais il ne disait mot.
— À Venise, un Anglais osa faire des offres :
Pour avoir ce chef-d’œuvre il eût vidé ses coffres ;
Mais c’était profaner — il santo Ritratto, —
Et comme obstinément il grossissait la somme,
Albertus furieux voulut noyer son homme
En bas du pont de Rialto.


LXXXI
Albertus travaillait. — C’était un paysage.
Salvator eût signé cette selve selvagge.
— Au premier plan des rocs, — au second les donjons
D’un château dentelant de ses flèches aiguës
Un ciel ensanglanté, semé d’îles de nues.
— Les grands chênes pliaient comme de faibles joncs,
Les feuilles tournoyaient en l’air ; l’herbe flétrie,
Comme les flots hurlants d’une mer en furie,
Ondait sous la rafale, et de nombreux éclairs
De reflets rougeoyants incendiaient les cimes
Des pins échevelés, penchés sur les abîmes
Comme sur le puits des enfers.