Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/230

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


Thébaïde


 

Mon rêve le plus cher et le plus caressé,
Le seul qui rie encor à mon cœur oppressé,
C’est de m’ensevelir au fond d’une chartreuse,
Dans une solitude inabordable, affreuse ;
Loin, bien loin, tout là-bas, dans quelque Sierra
Bien sauvage, où jamais voix d’homme ne vibra,
Dans la forêt de pins, parmi les âpres roches,
Où n’arrive pas même un bruit lointain de cloches ;
Dans quelque Thébaïde, aux lieux les moins hantés,
Comme en cherchaient les saints pour leurs austérités ;
Sous la grotte où grondait le lion de Jérôme,
Oui, c’est là que j’irais pour respirer ton baume
Et boire la rosée à ton calice ouvert,
Ô frêle et chaste fleur, qui crois dans le désert
Aux fentes du tombeau de l’Espérance morte !
De non cœur dépeuplé je fermerais la porte
Et j’y ferais la garde, afin qu’un souvenir
Du monde des vivants n’y pût pas revenir ;
J’effacerais mon nom de ma propre mémoire ;
Et de tous ces mots creux : Amour, Science et Gloire
Qu’aux jours de mon avril mon âme en fleur rêvait,
Pour y dormir ma nuit j’en ferais un chevet ;