Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/270

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Des hommes vivent là, dans leur fange abrutis ;
Leurs femmes mettent bas et leur font des petits
Qui grouillent aussitôt sous les pieds de leurs pères,
Comme sous un fumier grouille un nœud de vipères.
Dans la plus noire ordure, au milieu des ruisseaux,
On les voit barboter, pareils à des pourceaux ;
On les voit scrofuleux, noués et culs-de-jattes,
Comme un crapaud blessé qui saute sur trois pattes,
Descendre en trébuchant quelque raide escalier
Ou suivre tout en pleurs un coin de tablier.
D’autres, en vagissant, d’une bouche flétrie,
Sucent une mamelle épuisée et tarie,
Et les mères s’en vont chantant d’une aigre voix
Un ignoble refrain en ignoble patois.
Quant aux hommes, ils sont partis à la maraude :
À peine verrez-vous quelque fiévreux qui rôde,
Le corps entortillé dans un pâle lambeau,
Plus jaune et plus osseux qu’un mort sous le tombeau.
Aucun soleil jamais ne dore ces fronts haves,
Nul rayon ne descend en ces affreuses caves,
Et n’y jette à travers la noire humidité
Un blond fil de lumière aux chauds jours de l’été.
Une odeur de prison et de maladrerie,
Je ne sais quel parfum de vieille juiverie
Vous écœure en entrant et vous saisit au nez.
Des vivants comme nous sont pourtant condamnés
À respirer cet air aux miasmes méphitiques,
Ainsi qu’en exhalaient les Avernes antiques ;
Les belles fleurs de mai ne s’ouvrent pas pour eux,
C’est pour d’autres qu’en juin les cieux se font plus bleus ;
Ils sont déshérités de toute la nature,
Pour apanage ils n’ont que fange et pourriture.
Ces hommes, n’est-ce pas, ont le sort bien mauvais ?
Tout malheureux qu’ils sont, moi pourtant je les hais,