Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/309

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

en fleurs vous prêtaient des abris ;
Vous aviez pour jouer des nids de colibris ;
Les papillons dorés vous éventaient de l’aile ;
L’oiseau-mouche valsait avec la demoiselle ;
Les magnolias penchaient la tête en souriant ;
La fontaine au flot clair s’en allait babillant ;
Les bengalis coquets, se mirant à son onde,
Vous chantaient leur romance ; et, seule et vagabonde,
Vous marchiez sans savoir par les petits chemins,
Un refrain à la bouche et des fleurs dans les mains !
Aux heures du midi, nonchalante créole,
Vous aviez le hamac et la sieste espagnole,
Et la bonne négresse aux dents blanches qui rit
Chassant les moucherons d’auprès de votre lit.
Vous aviez tous les biens, heureuse créature,
La belle liberté dans la belle nature ;
Et puis un grand désir d’inconnu vous a pris,
Vous avez voulu voir et la France et Paris.
La brise a du vaisseau fait onder la bannière,
Le vieux monstre Océan, secouant sa crinière
Et courbant devant vous sa tête de lion,
Sur son épaule bleue, avec soumission,
Vous a jusques aux bords de la France vantée,
Sans rugir une fois, fidèlement portée.
Après celles de Dieu, les merveilles de l’art
Ont étonné votre âme avec votre regard :
Vous avez vu nos tours, nos palais, nos églises,
Nos monuments tout noirs et nos coupoles grises,
Nos beaux jardins royaux, où, de Grèce venus,
Étrangers comme vous, frissonnent les dieux nus,
Notre ciel morne et froid, notre horizon de brume,
Où chaque maison dresse une gueule qui fume.
Quel spectacle pour vous, ô fille du soleil,
Vous toute brune encor de son baiser vermeil.