Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/367

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C’est toi, Rubens, c’est toi, dont la rage sublime,
Pencha cette bataille au bord de cet abîme,
Qui joignis ses deux bouts comme un bracelet d’or,
Et lui mis pour camée un beau groupe de femmes
Si blanches, que le fleuve aux triomphantes lames
S’apaise et n’ose pas les submerger encor !


II



Car ce sont, ô pitié ! des femmes, des guerrières
Que la mêlée étreint de ses mains meurtrières :
Sous l’armure une gorge bat ;
Les écailles d’airain couvrent des seins d’ivoire,
Où, nourrisson cruel, la Mort pâle vient boire
Le lait empourpré du combat.

Regardez ! regardez ! les chevelures blondes
Coulent en ruisseaux d’or se mêler sous les ondes,
Aux cheveux glauques des roseaux.
Voyez ces belles chairs, plus pures que l’albâtre,
Où, dans la blancheur mate, une veine bleuâtre
Circule en transparents réseaux.

Hélas ! sur tous ces corps à la teinte nacrée,
La mort a déjà mis sa pâleur azurée ;
Ils n’ont de rose que le sang.
Leurs bras abandonnés trempent, les mains ouvertes,
Dans la vase du fleuve, entre les algues vertes,
Où l’eau les soulève en passant.