Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 2, Lemerre, 1890.djvu/48

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Comme je m’en allais, ruminant ma pensée,
Triste, sans dire mot, sous la voûte glacée,
        Par le sentier étroit ;
S’arrêtant tout à coup, ma compagne blafarde
Me dit en étendant sa main frêle : Regarde
        Du côté de mon doigt.

C’était un cavalier avec un grand panache,
De longs cheveux bouclés, une noire moustache
        Et des éperons d’or ;
Il avait le manteau, la rapière et la fraise,
Ainsi qu’un raffiné du temps de Louis treize,
        Et semblait jeune encor.

Mais en regardant bien, je vis que sa perruque
Sous ses faux cheveux bruns laissait près de sa nuque
        Passer des cheveux blancs ;
Son front, pareil au front de la mer soucieuse,
Se ridait à longs plis ; sa joue était si creuse
        Que l’on comptait ses dents.

Malgré le fard épais dont elle était plâtrée,
Comme un marbre couvert d’une gaze pourprée
        Sa pâleur transperçait ;
A travers le carmin qui colorait sa lèvre,
Sous son rire d’emprunt on voyait que la fièvre
        Chaque nuit le baisait.

Ses yeux sans mouvement semblaient des yeux de verre
Ils n’avaient rien des yeux d’un enfant de la terre,
        Ni larmes ni regard.
Diamant enchâssé dans sa morne prunelle
Brillait d’un éclat fixe, une froide étincelle.
        C’était bien un vieillard !