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SUR DIVERS SUJETS.


51. — sur la simplicité et contre l'abus de l'art 1.

Souvent, fatigué de cet art qui domine aujourd’hui dans les écrits, dans la conversation, dans les aiïaires, et jusque dans les plaisirs; rebuté de traits, de saillies, de plaisan- terie?. et de tout cet esprit que l’on veut mettre dans les moindres choses, je dis en moi-méme : Si je pouvais trouver un homme qui n’eût point d'esprit, et avec lequel il n’en fallut point avoir; un homme îngénu et modeste, qui parlat seulement pour se faire entendre et pour exprimer les sen- timents de son cœur, un homme qui n'eùt que de la raison et un peu de nature], avec quelle ardeur je courrais me délasser dans son entretien du jargon et des épigrammes des gens à la model O charmante simplicité, j’abandonne— rais tout pour marcher sur vos traces I ll n'y a rien de grand ni d’aimable où la simplicité n'est pas; les arts ambitieux qui la fuient perdent leur éclat et leurs charmes; il n’y a ni vertus ni plaisirs qui n'empruntent d‘elle leurs grâces les plus touchantes; et comment se f ait-il qu'on en puisse perdre le goût jusqu’à. ne pas s'apercevoir qu'on l'a perdu? ll est vrai que les hommes ont aimé l’art dans tous les temps, et que leur esprit s’est toujours flatté deperfectionner la nature : c’est la première prétention de la raison, et la plus ancienne chimère de la vanité. Toutefois, je pardonne aisément aux premiers hommes d’av0ir trop attendu de l'art; ce serait proprement a nous, qui en connaissons par expérience la faiblesse, d’en étre moins amoureux; mais l’esprit humain a trop peu de fonds pour se tenir dans ses propres limites, et la nature elle-mème a mis au cœur des hommes ce désir ambitieux de la polir. Nous fardons notre pauvreté sans

  • Dana lu éditions précédentes, ce morceau fait partie d’une variante au

Discours (posthume) sur le caractère des différents siècles: mais, dans le manuscrit que nous avons sous les yeux , c'est un morceau détaché que Vau- venargues destinsit sans doute aux Réflexions sur divers sujets, car il ne l’a pu mis dans le Discours, dont la rédaction parait déllnitive. Nous le réta- bliasons ici , avec les différences de texte asse: notables que donne le manu- scrit du Louvre. - G.