On aurait aiméa développer en quelques endroits, non-seulement
les qualités du cœur, mais même ces dillérenees lines de l‘esprit qui
échappent quelquefois aux meilleurs yeux; mais, parce que de tels
caractères auraient été des déllnitions plutot que des portraits, on n’en
a hasardé qu‘un petit nombre, de peur que beaucoup de lecteurs ne
fussent plus fatigués qu`amusés de ce nouveau genre. Les hommes ne
sont vivement frappés que des images, et ils entendent toujours mieux
les choses par les yeux que par les oreilles.
On a imlté Théopbraste et La Bruyère autant qu‘on· l‘a pu; ·mais,
parce qu’on l‘a pu tres·rarement, a peine s‘apereevra-t·on que l'sutsur
fest proposé ces grands modèles '. Uéloquenoe de La-Bruyere, ceaçoup
le pinœau si male et si fort, ces tours singuliers et hardis, ce carac- ‘
ere toujours original, ne sont pas des beautés ou Pimltation puisse
atteindre. Théophrsste est moins délicat, moins orné, moins pathéti-
[ue, moins sublime; ses portraits sont nus, et quelquefois un peu trat· .
aants; mais il plait malgré ses longueurs, et sa négligence méme est
aimable. Tout auteur qui peint la nature est sur de durer autant que
on modèle, et de n‘étre jamais atteint par ses copistes.
Si j‘osais reprocher quelque chose u La Bruyère, ce serait d‘avoir
mp toumé et trop travaillé ses ouvrages; un peu plus de simplicité
lt de négligence aurait donné peut-étre plus dfessor a son génie, et
uarqué davantage les endroits ou il s'éleve. Théophraste a d‘autr·es dé-
auts; son style me parait moins varié que celui du peintre modeme,
at il n‘en a ni la hardiesse, ni la précision, ni l‘énergie. A l’égard des · `
nœurs qu’ils ont décrites, ce sont celles des hommes'de leur siecle,
lu‘ils ont représentées l‘un et I’autre avec la plus nalve vérité. La
bruyère, qui a vécu dans un siècle plus ratliné et dans un royaume
·lus puissant, `a peint une nation polie, riche, magnifique, savante, et
moureuse de l‘art. Théophraste, né, au contraire, dans une petite ré-
·ublique, ou les hommes étaient pauvres et` moins fastueux, a fait des
ortraits qui, aujourd"hui , nous paraissent un peu petits'. ‘
sions, des vertus, des vices. Les caractères véhéments sont certainement
plus rares que les autres; mais ils sont peut-être plus propres a intéresser
et à passionner les lecteurs sérieux, qui sont ceux a qui _l’0n destine ce petlt
ouvrage. n ]
¤ Voir ls derniere note d_u 5• caract. (Lentulus ou le Facticux, p. 296). -0.
• Add.: ~ S’il m’est permis de dire ce que je pense, je ne crois pas que
nous devions tirer un` grand avantage de ce radlnement ou de ce luxe de
notre nation; la grandeur du fssfa ne peut rien ajouter acelle des hommes.
La politesse méme et la `délicatesse, poussées au dela de leurs homes, font
regretter aux esprits naturels la simplicité qu’elles_détruisent. Nouaperdons
quelquefois bien plus en nous écartant de la nature, que nous ne gagnons
ys la polir; l’art peut devenir plus barbare que l'instiuct qu'il croit corri-
ger. n — Nous donnons cn note, at simplement pour mémoire, ce passage
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ESSAI SUR QUELQUES CARACTÈRES.