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Page:Œuvres de Vauvenargues (1857).djvu/343

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SUR QUELQUES CARACTÈRES.


nesse, Né pour des chagrins plus secrets, il a eu de la hau- teur et de l‘ambition dans la pauvreté; il s‘est vu, dans ses disgràces, méconnu de ceux qu’il aimait; l’injure a flé- tri son courage, et il a été offense de ceux dont il ne pou- vait prendre de vengeance. Ses talents, son travail conti- tinuel, son application à bien faire, son attachement à ses amis, n’ont pu tléchir la dureté de sa fortune. Sa sagesse méme n'a pu le garantir de commettre des fautes irrépa- rables; il a souffert le mal qu'll ne méritait pas, et celui que son imprudence lui a attiré. Quand la fortune a paru se lasser de le poursuivre, quand l'espérance trop lente com- mençait à flatter sa peine, la mort s'est offerte à sa vue; elle l'a surpris dans le plus grand désordre de sa fortune; il a eu la douleur amère de ne pas laisser assez de bien pour payer ses dettes, et n’a pu sauver sa vertu de cette tache. Si l'on cherche quelque raison d’une destinée si cruelle, on aura, je crois, dela peine à en trouver. Faut-il demander la raison pourquoi desjoueurs très·habiles se ' ruinent au jeu, pendant que d’autres hommes y font leur fortune? ou pourquoi l'on voit des années qui n’ont ni prin- temps ni automne, ou les fruits de l’année sèchent dans leur fleur? Toutefois, qu’on ne pense pas que Clazomène eût · voulu changer sa misère pour la prospérité des hommes faibles : la fortune peut se jouer de la sagesse des gens courageux; mais il ne lui appartient pas de faire fléobir leur courage'. · V l Var. : • Un ordre inllsxible et caché dispose des choses humaines; le ha- · aard se joue de la sagesse et des projets des hommes; mais la prospérité ~ des ams faibles ne peut les élever a la hauteur des sentiments que la ca- « lamité inspire aux ames fortes, et ceux qui sont nés oour eux savent vivre u et mourir sans gloire. • - Nous l'avons dit dans notrelgloge, ce qui doit surtout attirer l'attention sur les Caractères et sur les Dialogues de Vauvenar- gues, c’est qu’ils sont pleins de Vauvenargues lui-meme. Ce morceau n'est pas, \ proprement parler, un caractère, c'est une histoire, l’bistoire éloquente d’une vie entière, en quelques lignes. Les maladies, la hauteur et Pambitian dans la pauvreté, l'o)|"ense dont on n’a pu prendre de vengeance (voir les lettres au duc de Biron et au ministre Amelot), la mort prématurée, tout, jusqu’au désordre de la fortune (voir les lettres a Saint—Vincens), juaqu'a cette indomptable fierté avec laquelle Vauvenargues défie le sort, comme Max définit les dieux , tout cela est trop particulier et trop clair, pour que le doute soit possible.-G; . 19