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ET MAXIMES.

330. Nous sommes trop inattentifs, ou trop occupés de nous-mêmes, pour nous approfondir les uns les autres : quiconque a vu des masques, dans un bal, danser amicalement ensemble, et se tenir par la main sans se connaître, pour se quitter le moment d’après, et ne plus se voir ni se regretter, peut se faire une idée du monde[1].


331. [La naïveté est lumineuse ; elle fait sentir les choses fines à ceux qui seraient incapables de les saisir d’eux-mêmes.]

332. La naïveté se fait mieux entendre que la précision ; c’est la langue du sentiment, préférable à celle de l’imagination et de la raison, parce qu’elle est belle et vulgaire[2].

333. Il y a peu d’esprits qui connaissent le prix de la naïveté, et qui ne fardent point la nature. Les enfants coiffent leurs chats, mettent des gants à un petit chien ; et devenus hommes, ils composent leur maintien, leurs écrits, leurs discours ; j’ai traversé autrefois un village, où l’on assemblait tous les mulets, le jour de la fête, pour les bénir, et j’ai vu qu’on ornait de rubans le dos de ces pauvres bêtes. Les hommes aiment tellement la draperie, qu’ils tapissent jusqu’aux chevaux.

334. [Je connais des hommes que la naïveté rebute, comme quelques personnes délicates seraient blessées de voir une femme toute nue ; ils veulent que l’esprit soit couvert comme le corps.]

335. On ne s’élève point aux grandes vérités sans en-

  1. Ici s’arrêtent les Maximes publiées par Vauvenargues dans sa seconde édition. Les suivantes sont posthumes, et celles que l’on trouvera entre crochets, paraissent, pour la première fois, au nombre de près de deux-cents. Le lecteur pourra s’assurer qu’elles ne sont pas les moins intéressantes du recueil. — G.
  2. Add. : [« C’est la langue la plus aimable, et, toutefois, celle que les hommes aiment le moins à parler. » ]