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INTRODUCTION À LA CONNAISSANCE

vers avantages : de la mémoire et de la sagacité dans la dispute, de la sécurité[1] dans les périls, et, dans le monde, cette liberté de cœur qui nous rend attentifs à tout ce qui s’y passe, et nous tient en état de profiter de tout, etc[2].

20. — De la Distraction.

Il y a une distraction assez semblable aux rêves du sommeil, qui est lorsque nos pensées flottent et se suivent d’elles-mêmes sans force et sans direction. Le mouvement des esprits se ralentit peu à peu ; ils errent à l’aventure sur les traces[3] du cerveau, et réveillent des idées sans suite et sans vérité ; enfin les organes se ferment ; nous ne formons plus que des songes, et c’est là proprement rêver les yeux ouverts. Cette sorte de distraction est bien différente de celle où jette la méditation. L’âme, obsédée dans la méditation d’un objet qui fixe sa vue et la remplit tout entière, agit beaucoup dans ce repos. C’est un état tout opposé ; cependant elle y tombe ensuite épuisée par ses réflexions.

21. — De l’Esprit du jeu.

C’est une manière de génie que l’esprit du jeu, puisqu’il dépend également de l’âme et de l’intelligence. Un homme que la perte trouble ou intimide, que le gain rend trop hasardeux, un homme avare, ne sont pas plus faits pour jouer que ceux qui ne peuvent atteindre à l’esprit de combinaison. Il faut donc un certain degré de lumière et de sentiment, l’art des combinaisons, le goût du jeu, et l’amour mesure du gain. On s’étonne à tort que des sots possèdent ce faible avantage : l’habitude et l’amour du jeu, qui tournent toute leur application et leur mémoire de ce seul côté, suppléent l’esprit qui leur manque.

  1. Nous avons noté plus haut (chap. 15) l’impropriété de ce mot. — G.
  2. Bon, très-bon. — V.
  3. L’auteur veut parler sans doute des sinuosités que forment à la surface du cerveau ses différents lobes. Il faut avouer que cette explication de la distraction est prise de bien loin. — G.