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INTRODUCTION À LA CONNAISSANCE

Les passions qui viennent par l’organe de la réflexion sont moins ignorées. Elles ont leur principe dans l’amour de l’être ou de la perfection de l’être, ou dans le sentiment de son imperfection et de son dépérissement.

Nous tirons de l’expérience de notre être une idée de grandeur, de plaisir, de puissance, que nous voudrions toujours augmenter nous prenons dans l’imperfection de notre être une idée de petitesse, de sujétion, de misère, que nous tâchons d’étouffer voilà toutes nos passions.

Il y a des hommes en qui le sentiment de l’être est plus fort que celui de leur imperfection ; de là l’enjouement, la douceur, la modération des désirs.

Il y en a d’autres en qui le sentiment de leur imperfection est plus vif que celui de l’être ; de là l’inquiétude, la mélancolie, etc.

De ces deux sentiments unis, c’est-à-dire celui de nos forces et celui de notre misère, naissent les plus grandes passions ; parce que le sentiment de nos misères nous pousse à sortir de nous-mêmes, et que le sentiment de nos ressources nous y encourage et nous porte par l’espérance. Mais ceux qui ne sentent que leur misère sans leur force, ne se passionnent jamais autant, car ils n’osent rien espérer ; ni ceux qui ne sentent que leur force sans leur impuissance, car ils ont trop peu à désirer ainsi il faut un mélange de courage et de faiblesse, de tristesse et de présomption. Or, cela dépend de la chaleur du sang et des esprits ; et la réflexion qui modère les velléités des gens froids encourage l’ardeur des autres, en leur fournissant des ressources qui nourrissent leurs illusions d’où vient que les passions des hommes d’un esprit profond sont plus opiniâtres et plus invincibles, car ils ne sont pas obligés de s’en distraire comme le reste des hommes par épuisement de pensée ; mais leurs réflexions, au contraire, sont un entretien éternel à leurs désirs, qui les échauffe ; et cela explique encore pourquoi ceux qui pensent peu, ou qui ne sauraient penser longtemps de suite sur la même chose, n’ont que l’inconstance en partage.