Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/169

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puisque nous nous sommes réciproquement mal jugés, pourquoi le jeune noble refuserait-il d’écouter le vieil homme de loi, quand il veut lui expliquer la nature des contestations qui existent entre eux ? — Non, milord, reprit Ravenswood ; c’est devant les états de la nation, devant la cour suprême du parlement que nous entrerons dans ces détails. Les seigneurs et les chevaliers de l’Écosse, ses anciens pairs, ses barons, décideront si c’est de leur aveu qu’une maison, qui n’est pas la moins noble du pays, doit se voir dépouillée de ses possessions, récompense du patriotisme de générations entières, et être traitée comme le malheureux ouvrier, qui, dès que l’heure du rachat est écoulée, voit passer dans les mains de l’usurier l’objet qu’il lui avait engagé. S’ils cèdent à la dure avarice des créanciers, et à l’usure qui ronge nos terres, comme les insectes nos vêtements, les suites en seront pires pour eux et leur postérité que pour Norman Ravenswood. Il me restera encore mon épée et mon manteau, et je suivrai la carrière des armes partout où la trompette sonnera. »

En prononçant ces mots d’un ton ferme et mélancolique, il leva les yeux et rencontra ceux de Lucy Ashton, qui s’était approchée d’eux sans être aperçue. Il vit que ses regards étaient fixés sur eux avec une expression d’enthousiasme et d’admiration qui l’absorbait au point de lui faire oublier la crainte d’être remarquée. Le noble maintien et les traits remarquables de Ravenswood étaient enflammés par l’orgueil de sa naissance et par le sentiment de sa dignité. Le son doux et expressif de sa voix, le triste état de sa fortune et l’indifférence avec laquelle il semblait envisager son avenir, faisaient de lui un sujet de contemplation dangereux pour une jeune fille, déjà trop prévenue en sa faveur. Quand leurs yeux se rencontrèrent, tous deux rougirent, comme s’ils eussent éprouvé une vive émotion, et ils s’efforcèrent de détourner leurs regards.

Sir William Ashtun avait surveillé attentivement l’expression de leur physionomie. « Je n’ai à craindre, pensa-t-il en lui-même, ni parlement ni appel ; j’ai un moyen sûr de me réconcilier avec ce bouillant jeune homme, s’il en vient au point de me donner des sujets d’inquiétude. Le principal, maintenant, c’est d’éviter de me compromettre. L’hameçon est fixé, on y a mordu : je ne tendrai pas trop la ligne ; il vaut mieux me réserver le privilège de la relâcher, si je m’aperçois que le poisson ne vaille pas la peine d’être amené à terre.