Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 13, 1838.djvu/141

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fut poussé hors de la selle avec une force, non pas violente, mais irrésistible. Avant qu’il eût touché la terre, il avait perdu connaissance, et il resta long-temps étendu dans un état d’anéantissement complet : car, lorsqu’il tomba, le soleil dorait encore le sommet des montagnes lointaines ; et lorsqu’il reprit connaissance, la lune pâle brillait sur le paysage. Il se réveilla encore frappé de terreur, et il ne put s’en affranchir entièrement qu’après un instant de réflexion. Il se mit alors sur son séant, et après avoir fait divers mouvements, il se convainquit que le seul mal corporel qu’il souffrit était un engourdissement occasioné par l’intensité du froid. Un léger bruit qui se fit auprès de lui refoula de nouveau son sang vers le cœur ; il fit un effort et se leva, et ayant regardé autour de lui, il reconnut que ce bruit était occasioné par les pas de sa mule. Le paisible animal était resté fort tranquillement à paître l’herbe qui croissait abondamment dans cet endroit isolé, pendant l’évanouissement du révérend père.

Reprenant un peu d’empire sur lui-même, le sous-prieur se recueillit, remonta sur sa mule, et tout en méditant sur son étrange aventure, il arriva bientôt où le glen se joint à la grande vallée de la Tweed. Le pont-levis se baissa à sa première sommation, et il avait tellement gagné le cœur du brutal gardien, que celui-ci vint lui-même, avec une lanterne, pour éclairer le sous-prieur pendant la traversée, qui n’était pas sans danger.

« Par ma foi, mon révérend père, » dit-il en approchant la lumière du visage du père Eustache, « vous avez l’air bien fatigué et vous êtes pâle comme la mort ; il est vrai que peu de chose suffit pour vous abattre, vous autres gens de cellule. Mais voyez-vous, moi qui vous parle, il m’est arrivé lorsque je ne songeais guère à être un jour perché sur cette tour, entre le vent et l’eau, de trotter sur mon cheval pendant trente milles d’Écosse, avant déjeuner, avec les joues vermeilles comme la rose pendant tout le temps. Voulez-vous prendre quelque rafraîchissement, ou un verre d’eau distillée ?

— Je ne le puis, dit le père Eustache ; un vœu que j’ai fait me le défend ; mais je vous remercie de votre offre obligeante ; et je vous prie de donner cela au premier pèlerin qui viendra ici, pâle et épuisé comme je le suis, car il s’en trouvera bien dans ce monde et vous dans l’autre.

— Et sur mon honneur, c’est ce que je ferai, dit Pierre, et cela pour l’amour de vous. C’est une chose étonnante comment ce