Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 13, 1838.djvu/204

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avec la plus grande tranquillité, « que je sois provoqué par ce rustique et mal appris jeune homme, à faire, en votre présence, rien qui puisse compromettre notre dignité ; car l’arme du canonnier enflammerait plutôt la glace, que l’étincelle de la colère n’allumerait mon sang, tempéré, ainsi qu’il l’est dans ce moment, par le respect dû à la présence de ma divine protection.

— Vous pouvez bien la nommer votre protection, sir chevalier, dit Halbert ; par saint André ! c’est le seul mot raisonnable que je vous aie entendu dire ; mais nous pouvons nous rencontrer où sa protection ne vous protégera guère.

— Très-belle Protection, » poursuivit le courtisan, n’honorant ni d’un regard, ni encore moins d’une réponse directe la menace d’Halbert irrité, « sois sûre que ton Affabilité ne sera pas plus émue des discours de ce rustre que la lune brillante et sereine n’est troublée par les aboiements du chien hargneux de la ferme, orgueilleux de la hauteur de son fumier, qui, dans sa pensée, l’élève plus près de ce majestueux luminaire. »

Il est impossible d’imaginer jusqu’où aurait monté l’indignation d’Halbert à une comparaison si choquante, si Édouard ne s’était précipité dans l’appartement pour donner la nouvelle que le cuisinier et le sommelier, les deux plus importants officiers du couvent, venaient d’arriver avec une mule chargée de provisions, annonçant que le seigneur abbé, le sous-prieur et le sacristain, étaient en chemin pour se rendre à la tour. Jamais une circonstance si extraordinaire n’avait été mentionnée dans les annales de Sainte-Marie, ou dans les traditions de Glendearg, quoiqu’il y eût une ancienne légende qui rapportait qu’un seigneur abbé y avait dîné jadis, après s’être perdu, dans une partie de chasse, au milieu des chemins isolés qui se trouvent du côté du nord ; mais que l’abbé Boniface se mît en route, sans y être obligé, pour se rendre dans un lieu si sauvage et si triste, qui était le Kamtschatka de Sainte-Marie, c’était une chose inimaginable, et toutes les personnes de la famille en éprouvèrent la plus grande surprise ; Halbert seul n’en marqua point d’étonnement.

Le fier jeune homme pensait trop à l’insulte qu’il venait de recevoir pour pouvoir s’occuper d’une chose qui n’avait point de rapport à celle qui l’agitait. « Je suis charmé, dit-il, je suis charmé que l’abbé se rende ici. Il m’apprendra pourquoi et de quel droit cet étranger est envoyé chez nous pour nous régen-