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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 13, 1838.djvu/214

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changé le ciel pour le purgatoire, en quittant la sphère resplendissante de la royale cour d’Angleterre pour un réduit isolé dans ce désert inaccessible. Je quitte le champ clos où je fus toujours prêt à rompre avec mes pairs une lance pour l’amour de l’honneur, ou pour l’honneur de l’amour ; et je viens employer cette arme de chevalier contre de vils besognios ou maraudeurs… J’échange les salons brillamment éclairés, dans lesquels je formais avec agilité les pas de la vive courante, où je dansais avec une grâce pleine de noblesse l’imposante gaillarde, pour ce donjon qui tombe en ruines. J’abandonne le gai théâtre pour le coin de la cheminée solitaire d’un chenil écossais… Je remplace les sons du luth harmonieux et ceux de la viole-de-gamba, qui inspire l’amour, par le cri discordant de la cornemuse du Nord… Enfin, je m’éloigne du sourire de ces beautés qui forment une galaxie[1] autour du trône d’Angleterre, pour la froide révérence d’une damoiselle à l’intelligence inculte et le regard embarrassé de la fille d’un meunier. Je pourrais ajouter : en changeant la conversation des aimables chevaliers et des séduisants courtisans de mon rang et de mon mérite, dont les pensées sont aussi éclatantes et aussi promptes que le brillant éclair, pour celles de moines et d’hommes d’église ; mais il serait discourtois de traiter ce sujet. »

L’abbé écouta cette liste de regrets en ouvrant de grands yeux qui n’exprimaient pas une parfaite intelligence des paroles de l’orateur ; et lorsque le chevalier suspendit son discours pour reprendre haleine, le père Boniface regarda le sous-prieur d’un œil incertain et inquiet, ne sachant sur quel ton il devait répondre à un exorde si extraordinaire. Le sous-prieur s’empressa d’arriver à son aide, et dit :

« Nous compatissons fort, sir chevalier, à toutes les fatigues et à toutes les mortifications auxquelles le sort vous a assujetti, particulièrement à celle qui vous a jeté dans une société de gens qui, ayant la conscience de n’être pas dignes d’un tel honneur, ne l’auraient jamais recherché. Mais tout ceci sert à peu de chose pour expliquer la cause de cette suite d’infortunes, ou, en termes moins obscurs, la raison qui vous a contraint à vous mettre dans une situation qui a pour vous si peu d’attraits.

— Gracieux et révérend seigneur, répliqua le chevalier, pardonnez à une personne malheureuse qui, en rapportant l’histoire de ses infortunes, s’étend extrêmement sur elles, de même qu’un

  1. Voie lactée, du grec γάλα, lait. a. m.