Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/198

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Les imbéciles ! » murmura Cleveland entre ses dents ; et puis il dit à haute voix : « Je suppose qu’ils viennent souvent à terre montrer leur splendeur aux fillettes de Kirkwall ? — Non pas ! le capitaine ne leur laisse pas mettre le pied sur le rivage sans qu’ils soient accompagnés du contre-maître… et le marin est un drôle comme n’en vit jamais tillac de navire… Vous pourriez aussi bien attraper un chat sans ses griffes que lui sans son sabre et une double paire de pistolets à sa ceinture ; tout le monde le craint autant que le capitaine lui-même. — Ce doit être Hawkins ou le diable ! s’écria Cleveland. — Il se peut, capitaine, répliqua le colporteur, qu’il soit l’un ou l’autre ou qu’il tienne des deux ; mais rappelez-vous que c’est vous qui lui avez donné ces noms, et non pas moi. — Mais, capitaine Cleveland, reprit Magnus, c’est peut-être le vaisseau matelot dont vous parliez… — Alors, il faut qu’ils aient eu du bonheur, pour sortir du mauvais pas où je les ai laissés… N’ont-ils pas dit avoir perdu un vaisseau qui les accompagnait, colporteur ? — Ma foi, oui ! répliqua Bryce ; du moins, ils ont parlé d’un bâtiment qui est allé rejoindre Davy Jones à la hauteur de ces îles. — Et leur avez-vous dit ce que vous saviez de son naufrage ? demanda l’udaller. — Et pourquoi diable aurais-je dit une pareille sottise ? répondit le colporteur ; à quoi bon parler de cela ? Quand ils auraient su ce qu’était devenu le vaisseau, ils auraient demandé où était la cargaison… et vous n’auriez pas voulu que j’attirasse un vaisseau armé vers nos côtes, pour tourmenter de pauvres gens à propos de méchants débris que la mer a jetés sur ces rivages ? — Sans compter ce qu’on aurait trouvé dans votre balle, bandit ! » s’écria Magnus Troil, et cette observation produisit un long rire. L’udaller ne put s’empêcher de prendre part lui-même à l’hilarité qui accueillit sa plaisanterie ; mais reprenant aussitôt son sérieux, il ajouta d’un ton beaucoup plus grave que de coutume : « Vous pouvez rire, mes amis : mais c’est une coutume qui déshonore notre pays et lui attire la colère du ciel ; et tant que nous n’apprendrons pas à respecter les droits de ceux que dépouillent les vents et les vagues, nous mériterons d’être opprimés et tyrannisés, comme nous l’avons été et le sommes encore, par la force supérieure des étrangers qui nous font la loi. »

La compagnie baissa la tête à cette réprimande de Magnus. Peut-être beaucoup de convives et des plus huppés étaient-ils accusés par la voix de leur propre conscience ; tous, au moins, sentaient que la soif du pillage, chez leurs gens et leurs inférieurs, n’était pas