Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/210

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

simple, si naturel, qu’elle manquait rarement de provoquer des rires bruyants et des applaudissements nombreux ; alors tous les assistants, qu’ils sussent ou non chanter, étaient irrésistiblement forcés de faire chorus. Mais en cette occasion, il semblait que sa voix se refusât à remplir son devoir, et que ne pouvant elle-même retrouver les paroles de cet air bien connu, elle prenait malgré tous ses efforts le ton élevé ainsi que la voix sauvage et mélancolique de Norna de Fitful-Head, pour chanter quelque lugubre ballade runique, semblable à celles que chantaient jadis les prêtres païens, lorsque la victime… trop souvent humaine… était attachée à l’autel fatal d’Odin ou de Thor.

Enfin les deux sœurs se réveillèrent en même temps, et poussant, de frayeur, un cri étouffé, elles se serrèrent dans les bras l’une de l’autre. Leur imagination ne les avait pas tout-à-fait trompées ; les sons qui avaient produit leurs rêves étaient réels, et retentissaient dans leur chambre. Elles connaissaient bien la voix et la personne qui chantait, mais elles n’en furent pas moins saisies de surprise et de terreur quand elles aperçurent Norna de Fitful-Head, assise devant la cheminée de leur chambre, où une lampe brûlait pendant l’été, et en hiver un bon feu de bois ou de tourbe.

Norna était enveloppée dans son long et large manteau de wadmaal, et balançait lentement son corps à la pâle clarté de la lampe, tandis qu’elle chantait les strophes suivantes sur un ton lent et lugubre, et d’une voix qui ne semblait pas mortelle :

À travers l’Océan que ma voix aplanit
Aisément glisse ma nacelle ;
Mais le cœur des humains, bien souvent plus rebelle,
Contre mes conseils se roidit.
Une heure est à moi dans l’année,
Pour conter mes malheurs, mais une seulement.
Quand brille le flambeau, c’est pour moi le moment ;
Quand il s’éteint, elle est sonnée.
Salut, filles du grand Magnus !
La lampe est allumée et la flamme est brillante :
Écoutez des récits qui vous sont inconnus ;
Éveillez-vous, je suis présente.

Norna était bien connue aux deux filles de Troil, mais ce ne fut pas sans une vive émotion qu’elles la virent si subitement et à une pareille heure. Néanmoins cette émotion ne prit pas chez les deux sœurs un caractère pareil, et leurs opinions au sujet des pouvoirs