Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/247

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Cleveland baissa la tête et réfléchit un instant, puis il releva les yeux et répondit : « Je pourrais aisément vous tromper, Minna, et vous promettre une chose dont mon âme me démontre l’impossibilité ; mais je suis obligé à trop de déguisement à l’égard des autres, et je ne l’emploierai pas avec vous. Je ne puis devenir l’ami de ce jeune homme ; il y a une haine naturelle, une aversion instinctive, et comme un principe de répugnance dans nos deux caractères qui nous rend odieux l’un à l’autre. Interrogez-le, il vous dira qu’il a la même antipathie contre moi. L’obligation que je lui devais était comme un obstacle à mon ressentiment ; et j’étais tellement torturé par la contrainte que j’aurais rongé le frein jusqu’à ensanglanter mes lèvres. — Vous avez porté si long-temps ce que vous avez coutume d’appeler votre masque de fer, que vos traits gardent l’impression de la roideur, même lorsqu’il est ôté. — Vous ne me rendez pas justice, Minna, et vous vous fâchez contre moi parce que je suis franc et sincère avec vous. Je vous dirai pourtant avec sincérité que je ne puis être l’ami de Mertoun ; mais ce sera sa propre faute, et non la mienne, si je suis jamais son ennemi. Je ne cherche pas à lui nuire ; mais ne me demandez pas de l’aimer, et soyez-en certaine, quand j’y pourrais parvenir, ce serait vainement ; car, j’en suis convaincu, autant je ferais d’efforts et d’avances pour gagner sa confiance, autant j’éveillerais son aversion et ses soupçons. Laissez-nous dans nos sentiments naturels ; et comme indubitablement ils nous tiendront aussi éloignés que possible, il est fort probable qu’ils empêcheront toute querelle entre nous. Êtes-vous contente ? — Il le faut bien, puisque vous m’assurez qu’il n’y a aucun remède. Et dites-moi maintenant pourquoi vous eûtes l’air si triste en apprenant l’arrivée de votre vaisseau matelot ? car c’est lui, je n’en puis douter, qui est dans le port de Kirkwall. — Je crains les conséquences de l’arrivée de ce navire avec son équipage ; et surtout que la première ne soit la ruine de mes plus chères espérances. J’avais fait quelques progrès dans la faveur de votre père, j’en aurais fait davantage avec le temps ; mais voici Hawkins et son équipage qui viennent renverser tous mes projets. Je vous ai dit à quels termes nous nous sommes quittés. Je commandais alors un navire plus solide et mieux équipé que le leur, avec un équipage qui, au moindre de mes signes, aurait fait face à des démons armés des feux de l’enfer ; mais à présent je suis seul, privé de tout moyen de les intimider ou de les contraindre ; bientôt ils se livreront à l’indomptable licence de leurs