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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/256

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Il se tut, et comme Minna ne répliquait pas, ils gardèrent tous deux le silence un instant, puis Cleveland continua :

« Vous ne répondez plus, miss Troil, et je me suis fait tort dans votre opinion par la franchise avec laquelle j’ai développé mon caractère devant vous. Je puis vraiment dire que mes dispositions naturelles ont été contraintes, mais non altérées par les tristes circonstances où je suis placé. — Je doute, » répondit alors Minna après un moment de réflexion, « que vous eussiez été aussi sincère, si vous n’aviez pas su que je verrais bientôt vos camarades, et que je découvrirais, par leur conversation et leurs manières, ce qu’autrement vous m’auriez caché avec soin. — Vous me faites injure, Minna, cruellement injure ; dès l’instant où vous avez su que j’étais un marin de fortune, un aventurier, un flibustier, ou, pour trancher le mot, un pirate, pouviez-vous attendre moins que je ne vous en ai dit ? — Vous dites trop vrai… j’aurais dû tout prévoir, et j’ignore pourquoi je m’attendais à autre chose. Mais il me semblait qu’une guerre contre les cruels et superstitieux Espagnols avait quelque chose d’ennoblissant… quelque chose qui relevait la fière profession à laquelle vous venez de donner son véritable et terrible nom. Je pensais que les guerriers indépendants de l’Océan occidental, allant punir les maux faits à tant de tribus dépouillées et massacrées, devaient montrer une noble élévation d’âme, comme les fils du Nord dont les longues galères surent venger sur tant de rivages les vexations de Rome dégénérée. Voilà quelles étaient mes idées, quel était mon rêve… Je m’afflige d’avoir été détrompée à mon réveil ; pourtant je ne vous accuse pas de l’écart de mon imagination… Adieu, il faut à présent nous quitter. — Dites au moins, s’écria Cleveland, que vous ne me regarderez pas avec horreur pour avoir dit la vérité. — Il me faut le temps de réfléchir, répondit Minna ; il me faut le temps de peser ce que vous m’avez avoué, avant que je puisse bien me rendre compte de mes propres sentiments. Mais aussi, je puis vous dire dès à présent que l’homme qui, pour satisfaire une misérable envie de pillage, se livre à des actes de sang et de cruauté, et qui est obligé de déguiser un reste de remords naturels sous l’affectation d’une perversité pire, n’est pas et ne peut être l’amant que Minna Troil croyait trouver dans Cleveland ; et si elle l’aime encore, ce sera pour son repentir, et non pas pour son héroïsme. »

En parlant ainsi, elle s’arracha de ses bras, car il cherchait encore à la retenir, et lui défendit par un signe impératif de songer à