Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/266

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quitter le rivage ? — Quelle demande ! comment pouvais-je voir quelqu’un, quand la lumière et la distance me permettaient seulement de remarquer que c’était une barque et non une baleine ? — Mais il devait y avoir quelqu’un dans la barque ? » répéta Minna sans presque savoir ce qu’elle disait.

« Certainement, répliqua le poète ; il est rare que les barques prennent le large toutes seules. Mais voyons, tout cela est folie ; par conséquent, comme dit la reine dans une vieille pièce que le fameux Will d’Avenant a retouchée pour la scène : « Au lit ! au lit ! au lit ! »

Ils se quittèrent, et les jambes de Minna la reconduisirent avec difficulté par divers corridors sinueux jusqu’à sa chambre, où elle se recoucha avec précaution auprès de sa sœur, qui dormait encore, l’esprit en proie aux angoisses les plus affreuses. Elle était certaine d’avoir entendu Cleveland… le sens de la chanson ne lui laissait aucun doute à ce sujet. Si elle n’était pas aussi sûre que la voix du jeune Mertoun, engagé dans une chaude dispute avec son amant, eût frappé son oreille, du moins elle était fortement portée à le croire. Le gémissement qui semblait avoir terminé la lutte… l’ombre terrible d’après laquelle il semblait que le vainqueur avait emporté le corps inanimé de sa victime… tout tendait à prouver que quelque accident fatal avait mis fin au combat. Et lequel de ces malheureux avait succombé ?… Lequel avait reçu une mort sanglante ?… Lequel avait remporté une fatale et sanguinaire victoire ?… Telles étaient les questions auxquelles la voix d’une conviction intérieure lui répondait tout bas que Cleveland, grâce à son caractère, à ses mœurs et à ses habitudes, était probablement celui qui avait survécu à la querelle. Cette réflexion lui procura une consolation involontaire qu’elle eut presque horreur de recevoir, en songeant que le crime de son amant rendait cette consolation épouvantable, et empoisonnait pour toujours le bonheur de Brenda.

« Innocente et malheureuse sœur ! se dit-elle, tu vaux dix fois mieux que moi ; car, malgré tes qualités, tu n’es ni vaine, ni présomptueuse. Comment est-il possible que je cesse de sentir un tourment qui passe seulement de mon cœur dans le tien ? »

Tandis que ces pensées cruelles agitaient son esprit, elle ne put s’empêcher de presser si fort sa sœur contre son sein, qu’après un pesant soupir Brenda s’éveilla.

« Ma sœur, dit-elle, est-ce vous ?… Je rêvais que j’étais sur un de ces monuments que nous a décrits Halcro, où l’on voit sculptée sur