Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/334

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homme, montraient ses prétentions à cet honneur ; mais si son extérieur était changé à son avantage, il semblait en être autrement de sa santé et de son humeur. Il était pâle et avait perdu le feu de ses yeux aussi bien que la vivacité de sa démarche, et toute sa personne annonçait ou tristesse d’esprit, ou souffrance de corps, ou réunion de ces deux peines.

Tandis que Cleveland errait dans cette vaste salle, un jeune homme, léger et mince de corps, dont la mise élégante semblait avoir été étudiée avec soin, bien qu’elle indiquât plus d’extravagance que de jugement et de goût, et dont les manières affectaient l’aisance des élégants de l’époque, dont enfin la physionomie avait une expression d’amabilité mêlée d’une assez forte dose d’effronterie, grimpa lestement l’escalier, entra dans l’appartement et se présenta devant Cleveland. Celui-ci le salua simplement d’un signe de tête, enfonça son chapeau plus avant sur ses yeux, et reprit d’un air mécontent sa promenade solitaire.

L’étranger rajusta son propre chapeau, rendit un signe de tête au capitaine, prit du tabac, de l’air d’un petit-maître, dans une boîte d’or richement travaillée, et en offrit à Cleveland. Cleveland refusa avec quelque froideur ; le jeune homme alors remit sa tabatière dans sa poche, croisa les bras à son tour et se mit à examiner attentivement chaque mouvement du promeneur dont il avait interrompu la solitude. Enfin, le capitaine s’arrêta soudain, comme impatienté d’être si long-temps un objet d’observation, et dit brusquement : « Pourquoi ne puis-je rester seul une demi-heure, et de quoi diable avez-vous besoin ? — Je suis charmé que vous ayez parlé le premier, » répondit l’étranger avec indifférence ; « je voulais savoir si vous étiez bien Clément Cleveland, ou seulement son esprit ; et, comme on dit que les esprits ne lâchent jamais le premier mot, je suis maintenant convaincu que c’est bien vous en vie et en corps. Je vous trouve dans un vieil et beau manoir qui conviendrait fort à un hibou pour se cacher en plein jour, ou à un revenant pour jouir de la pale clarté de la lune, comme dit le divin Shakspeare. — Bien ! bien ! » répondit Cleveland d’un ton brusque ; « votre plaisanterie est jetée ; maintenant expliquez-vous promptement. — Je m’expliquerai donc promptement, capitaine Cleveland ; je pense que vous me reconnaissez pour votre ami ? — Je veux bien le supposer. — C’est plus qu’une supposition ; je l’ai prouvé, prouvé ici aussi bien qu’ailleurs. — Bien ! bien ! j’admets que vous avez toujours été un brave camarade ; qu’en résulte-t-il ?