Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/37

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rochers, de marais, de côtes propres à la pêche, qui devait constituer la dot honnête d’une fille chérie. En outre il aurait la perspective de posséder une moitié des domaines de l’antique maison des Troil, quand le propriétaire actuel ne serait plus. C’était à coup sûr une probabilité, et, selon toute vraisemblance du moins, ce bruit était mieux fondé que beaucoup des faits qui ont cours dans le monde comme indubitable. Mais, hélas ! toute cette finesse d’observation qu’on mettait à épier la conduite des parties, échouait complètement dès qu’il fallait déterminer le point principal, savoir à laquelle des jeunes personnes s’adressaient plus particulièrement les attentions de Mordaunt. Il semblait en général les traiter comme un frère tendre et passionné eût traité deux sœurs qui lui eussent été si également chères qu’un souffle aurait pu faire pencher la balance ; ou si, ce qui arrivait parfois, l’une d’elles paraissait être l’objet d’une attention plus assidue, le motif en paraissait être uniquement parce que les circonstances avaient placé les talents et les qualités particulières de celle-là sous un jour plus favorable.

Elles connaissaient parfaitement toutes deux la simple musique du Nord ; Mordaunt était leur compagnon d’étude, et parfois leur précepteur, quand elles s’exerçaient à cet art délicieux ; et tantôt il aidait Minna à retenir ces airs sauvages, simples et solennels, sur lesquels les Scaldes et les bardes chantaient jadis les hauts faits des héros ; tantôt il apprenait à Brenda, avec non moins de zèle, la musique plus gaie et plus compliquée que Magnus faisait venir pour ses filles des capitales de l’Angleterre ou de l’Écosse. Dans la conversation, Mordaunt, qui mêlait un vif et ardent enthousiasme à la gaîté folle et déréglée de la jeunesse, était également propre à s’unir aux visions sauvages et poétiques de Minna, ou aux causeries aimables et souvent capricieuses de sa plus jeune sœur. Bref, il semblait si peu s’attacher exclusivement à l’une de ces beautés, que parfois on lui entendait dire que jamais Minna ne semblait si aimable que quand sa sœur joyeuse était parvenue à lui faire perdre un instant sa gravité habituelle ; et Brenda si intéressante que lorsqu’elle restait assise à écouter, d’un air soumis et ému, les discours sérieux de sa sœur Minna.

Le public était donc en défaut, pour nous servir d’un terme de chasse ; et après avoir long-temps hésité, on décida que très certainement Mordaunt épouserait l’une des deux ; mais laquelle, c’était une chose qui ne serait connue que lorsque l’âge de prendre une épouse, ou l’intervention du vieux Magnus viendrait éclairer