Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/407

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quitter ici… vous quitter pour toujours. Le faucon ne s’accouple pas avec la tourterelle… le crime ne s’unit pas avec l’innocenre. Minna Troil, vous voyez pour la dernière fois cet homme audacieux et criminel… Cleveland, vous regardez Minna pour la dernière fois ! — Depuis quand avez-vous rêvé, » dit Cleveland avec indignation, « que vos impostures m’en imposent, et que je sois au nombre des fous qui voient plus que de l’adresse dans votre prétendu savoir. — Taisez-vous, Cleveland, taisez-vous, » dit Minna (car la crainte héréditaire que lui inspirait Norna était encore augmentée par la circonstance de son apparition soudaine) ; « oh ! taisez-vous… elle est puissante… elle n’est que trop puissante… Et vous, ô Norna, songez que la sûreté de mon père dépend de celle de Cleveland. — Et il est heureux pour Cleveland que j’y songe, répliqua la pythonisse, car, pour l’amour de l’un, je les sauverai tous deux… Mais vous, quel puéril projet de faire évader un homme de cette taille avec quelques plis de wadmaal pour tout déguisement !… À quoi aurait abouti votre belle ruse ? à le faire enfermer aussitôt sous clefs et verroux. Je le sauverai… je le mettrai en sûreté à bord de son bâtiment ; mais qu’il renonce à visiter jamais nos côtes ; qu’il aille répandre ailleurs la crainte que jettent son noir pavillon et son nom encore plus noir ; car si le soleil se lève deux fois et le trouve encore à l’ancre, que son sang retombe sur sa tête ! Oui… regardez-vous bien… échangez les derniers regards que j’accorde à votre affection fragile, et dites-vous adieu pour toujours. — Obéissez-lui, balbutia Minna, ne répliquez rien ; mais obéissez-lui. »

Cleveland saisit la main de Minna, la baisa ardemment et dit, mais si bas qu’elle seule pût l’entendre : « Adieu, Minna, mais non pour toujours. — Maintenant, jeune fille, partez, dit Norna, et laissez le soin du reste à la Keim-Kennar. — Un mot encore reprit Minna, et je vous obéis… Dites-moi seulement si j’ai bien compris ce que vous m’avez voulu dire… Mordaunt Mertoun est-il sauvé et rétabli ? — Rétabli et sauvé, répondit Norna ; autrement malheur à la main qui aurait versé son sang. »

Minna se dirigea lentement vers la porte de la cathédrale en se retournant de temps à autre pour voir les traits sombres de Norna et la figure noble et militaire de Cleveland, tandis qu’ils se tenaient arrêtés dans l’obscurité toujours croissante de l’antique église. Lorsqu’elle regarda pour la seconde fois, ils étaient en mouvement et le capitaine suivait la prophétesse, tandis que d’un pas lent et solennel elle s’enfonçait dans une des ailes du bâtiment ; la troisième