Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 17, 1838.djvu/18

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Le Capitaine. Veuillez m’excuser, monsieur, si je vous interromps ; mais il me semble que vous venez de décrire une jolie femme.

L’Auteur. Je crois, sur ma parole, que vous avez raison… Il faut que je donne à mes esprits aériens un peu de sang et de chair humaine. Ils sont trop raffinés pour le goût actuel du public.

Le Capitaine. On dit aussi que votre fée[1] aurait dû avoir un but plus constamment noble… Le plongeon qu’elle fait faire au prêtre n’est pas un amusement bien digne d’une naïade.

L’Auteur. Ah ! il faut accorder quelque chose au caprice de ce qui n’est après tout qu’un lutin d’un ordre un peu élevé. Le bain dans lequel Ariel, la création la plus ingénieuse qu’ait produite l’imagination de Shakspeare, attire notre joyeux ami Trinculo, n’était pas d’ambre ni de rose. Mais personne ne me trouvera obstiné à lutter contre le courant : j’écris pour amuser le public ; il m’est égal qu’on le sache ; et quoique incapable de viser à la popularité par des moyens que je regarderais comme indignes de moi, d’un autre côté, je ne m’obstinerai pas à défendre mes propres erreurs contre l’opinion publique.

Le Capitaine. Vous abandonnez donc dans l’ouvrage actuel (jetant à mon tour un coup d’œil sur la feuille d’épreuve) le genre mystique et tout le système des signes, prodiges et présages ? Il n’y aura ni songes, ni augures, ni présage, même obscur, des événements qui suivront.

L’Auteur. Pas une égratignure de Cock-Lane, mon fils ; pas un seul coup sur le tambour de Tedworth ; pas seulement le misérable bruit que fait derrière la boiserie un faible insecte, présage de mort, nous dit-on. Tout y est clair et à découvert, et un métaphysicien écossais peut en croire jusqu’au dernier mot.

Le Capitaine. Et l’histoire en est, j’espère, naturelle et probable, débutant d’une manière frappante, marchant avec simplicité, et se terminant avec magnificence ? Tel un fleuve célèbre s’élance de quelque grotte obscure et romantique ; puis coulant ensuite sans jamais arrêter ni précipiter son cours, il visite comme par un instinct naturel tout ce qui lui paraît digne d’intérêt dans le pays qu’il traverse ; s’élargissant et devenant plus profond à mesure qu’il avance dans sa marche, il arrive enfin à son terme dans quelque port florissant où des vaisseaux de toute espèce viennent abaisser leurs voiles et leurs vergues.

  1. Your Nixie, dit le texte ; lutin femelle. a. m.