Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/351

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faisant force saluts et révérences, sans doute par reconnaissance pour le paiement d’un écot plus que raisonnable.

Ce ne fut que trois grandes heures après leur départ que Chiffinch entra dans la salle où ils avaient soupé la veille. Il était en robe de chambre de brocard, et portait un bonnet de velours vert orné de la plus riche dentelle de Bruxelles. Il paraissait n’être qu’à demi éveillé, et ce fut d’une voix qui se ressentait encore de l’influence du sommeil, qu’il demanda un verre de petite bière. Son air et sa contenance étaient ceux d’un homme qui avait lutté rudement la veille avec Bacchus, et qui se trouvait à peine remis des fatigues de son combat avec ce dieu jovial. Lance, qui avait été chargé par son maître d’épier tous les mouvements de Chiffinch, lui présenta officieusement le breuvage rafraîchissant qu’il demandait, ayant donné pour prétexte à l’hôte qu’il était curieux de voir un seigneur de Londres en robe de chambre et en bonnet de nuit.

Chiffinch n’eut pas plutôt vidé le verre qui lui était présenté, qu’il demanda où était lord Saville.

« Sa Seigneurie est partie à cheval à la pointe du jour, répondit Lance. — Comment diable ! s’écria Chiffinch ; voilà qui est fort impoli ; quoi ! parti pour les courses avec toute sa suite ? — Oui, reprit Lance, à l’exception d’un seul, que Sa Seigneurie a dépêché à Londres pour y porter des lettres. — Pour y porter des lettres à Londres ! dit Chiffinch. Mais j’y vais à Londres, il le sait, et j’aurais pu épargner cette peine à celui qu’il a envoyé… Attendez un moment, je commence à me rappeler… Diable !… Peut-être aurais-je bavardé… Oui, oui, j’ai bavardé… Je me rappelle tout à présent… J’ai bavardé, et en présence de celui qui est à la cour une véritable belette pour sucer le jaune d’œuf, et extirper le secret de chacun !… Enfer et furies !… Faut-il que mes soirées détruisent ainsi l’ouvrage de mes matinées !… Faut-il que le vin me fasse devenir ainsi bon camarade ? faut-il qu’il me pousse à faire des confidences, qu’il me rende querelleur, qu’il me crée des amis et des ennemis ? Comme si on pouvait avoir de plus grand ami ou de plus grand ennemi que soi-même ! Il faut cependant que j’arrête son messager… Je mettrai un bâton dans la roue… Holà ! garçon, fais venir mon groom, appelle Tom Beacon. »

Lance obéit, mais ne manqua pas, lorsqu’il eut fait entrer le groom, de rester dans la salle, pour écouter ce qui allait se passer entre le maître et le domestique.