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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/174

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notre langue très-chrétienne… C’est cela : de sorte que si l’on te parle, tu ne peux pas répondre, ce qui t’affranchira de tout embarras et les engagera à parler sans s’inquiéter de ta présence. Tu m’entends… Adieu… Sois prudent, et tu as un ami. »

Le roi eut à peine prononcé ces mots, qu’il disparut derrière la tapisserie, laissant Quentin méditer sur ce qu’il avait vu et entendu. Le jeune homme se trouva dans une de ces situations où il est plus agréable de regarder en avant qu’en arrière ; car, lorsqu’il venait à réfléchir qu’il avait été placé comme un chasseur qui, derrière un buisson, se tient à l’affût d’un cerf, pour ôter la vie au noble comte de Crèvecœur, il ne voyait là rien de flatteur. À la vérité, les mesures prises par le roi, en cette occasion, paraissaient n’être que de pure précaution et défensives ; mais savait-il s’il ne serait pas bientôt commandé pour quelque acte offensif du même genre ? Il se trouverait alors dans une crise fort dangereuse, puisqu’il était évident, d’après le caractère de son maître, qu’il se perdrait s’il refusait une obéissance passive, tandis que l’honneur lui criait qu’il y aurait crime et infamie à exécuter de tels ordres. Il détourna ses pensées de ce sujet de réflexions, et se consola par l’idée si souvent adoptée par la jeunesse, lorsque des dangers qui ne sont encore qu’en perspective se présentent à son esprit, qu’il sera temps de songer à ce qu’il faudra faire quand le moment sera venu, et, qu’à chaque jour suffit sa peine[1].

Quentin s’abandonna d’autant plus facilement à cette réflexion rassurante, que les derniers ordres du roi lui avaient fourni un sujet propre à occuper son esprit de pensées plus agréables que celles qui avaient rapport à sa propre situation.

La dame au luth était certainement une des dames sur lesquelles devait se diriger son attention, et il se promit bien d’obéir fidèlement à cette partie des instructions que le roi venait de lui donner, et d’écouter avec le plus grand soin chaque mot qui pourrait sortir de ses lèvres, afin de savoir si la magie de sa conversation égalait celle de sa musique. Mais ce fut avec une égale sincérité qu’il jura en lui-même de ne rapporter au roi aucune partie de ses discours qui pût lui inspirer d’autres sentiments que des sentiments favorables.

Cependant il n’y avait pas de danger qu’il s’endormît de nouveau à son poste. Chaque souffle d’air qui, se frayant un passage

  1. Allusion à ce passage de l’Écriture : Sufficit cuique diei malitia sua. a. m.