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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/252

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tantôt par une conversation enjouée, tantôt par des chansons et des histoires de son pays natal ; il chantait les premières dans sa langue maternelle, et il s’évertuait à raconter les secondes dans son mauvais français habillé à la mode de son pays, ce qui occasionnait une foule de petites méprises et de petits contre-sens plus divertissants encore que le récit même. Mais ce matin-là, en proie à l’inquiétude, il marchait à côté des dames de Croye sans penser aucunement à les amuser, et elles ne purent s’empêcher de faire l’observation que son silence avait quelque chose d’extraordinaire.

« Notre jeune chevalier a vu un loup, » dit la comtesse Hameline, faisant allusion à une ancienne superstition, « et cette rencontre lui a fait perdre la langue. — Dire que j’ai dépisté un renard serait plus juste, » pensa Quentin, mais il ne fit cette réponse qu’intérieurement. — « Vous sentez-vous indisposé, messire Quentin ? » dit la comtesse Isabelle d’un ton d’intérêt qui la fit rougir, parce qu’elle sentit qu’il y avait dans cette demande quelque chose de trop familier eu égard à la distance qui les séparait. — Il a passé la nuit à boire avec les joyeux moines, reprit la comtesse Hameline : les Écossais sont semblables aux Allemands, qui épuisant toute leur gaieté avec le vin du Rhin, n’apportent à la danse, le soir, que des pas chancelants, et, le lendemain matin, une tête pesante dans le boudoir des dames. — En vérité, aimables dames, je ne mérite pas vos reproches ; les bons moines sont restés presque toute la nuit en prières ; et quant à moi, je n’ai bu qu’un verre de leur vin ordinaire et le plus léger. — C’est peut-être la mauvaise chère qui le prive de sa bonne humeur, ajouta la comtesse Isabelle. Allons, messire Quentin, si jamais nous allons ensemble dans mon ancien château de Braquemont, je me ferai votre échanson, et comptez que je remplirai votre coupe d’un excellent vin, d’un vin meilleur qu’aucun de ceux qu’ont jamais donnés les vignes d’Hoccheim ou de Johannisberg. — Un verre d’eau de votre main, noble dame… » répondit Quentin ; mais il n’en put dire davantage, car sa voix était tremblante ; et Isabelle poursuivit comme si elle n’avait point remarqué l’accent de tendresse avec lequel il avait prononcé le pronom possessif. — Ce vin fut placé dans les caves immenses de Braquemont par les soins de mon bisaïeul le rhingrave Godfrey. — Qui obtint la main de la bisaïeule d’Isabelle, » interrompit la comtesse Hameline, « pour s’être montré le plus vaillant des enfants de la chevalerie au grand