Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/401

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lui : le pesant et profond sommeil du soldat écossais, dont les traits étaient aussi immobiles que si son visage eût été coulé en bronze ; la figure pâle et soucieuse d’Olivier, qui tantôt avait l’air de sommeiller, et tantôt entr’ouvrait les yeux et levait brusquement la tête, comme s’il eût été troublé par quelque remords, ou réveillé par quelque bruit lointain ; l’aspect mécontent, sauvage et hargneux du grand prévôt, qui avait l’air d’un homme altéré de sang, auquel il n’a pas été permis d’assouvir sa soif ; tandis que le fond du tableau était occupé par la figure sombre et hypocrite de Trois-Échelles, dont les yeux étaient tournés vers le ciel, comme s’il lui eût adressé une prière mentale, et par le riant et grotesque Petit-André, qui s’amusait à contrefaire les gestes et les grimaces de son camarade avant de se livrer au sommeil.

Au milieu de ces êtres vulgaires et ignobles, rien ne pouvait contraster d’une manière plus avantageuse que la belle taille, la noble physionomie et les traits imposants de l’astrologue ; on aurait pu voir en lui un ancien mage enfermé dans une caverne de voleurs, et occupé à invoquer un esprit pour obtenir sa délivrance. Et en effet, quand il n’aurait été remarquable que par la beauté de sa barbe longue et ondoyante, qui descendait jusque sur le rouleau mystérieux qu’il tenait à la main, on eût été pardonnable de regretter que celui qui n’employait les avantages du talent, du savoir, de l’éloquence et d’un extérieur majestueux, que pour servir les lâches projets de la fourberie et de l’imposture, ait reçu en partage un si noble attribut.

Ainsi se passa la nuit dans la tour du comte Herbert, au château de Péronne. Quand les premiers rayons de l’aurore pénétrèrent dans l’antique chambre gothique, le roi appela Olivier ; celui-ci le trouva assis, en robe de chambre, et fut surpris du changement qu’une nuit passée dans des inquiétudes mortelles avait produit sur son visage. Il aurait exprimé son inquiétude à cet égard, si le roi ne lui eût imposé silence en entrant dans le détail des divers moyens par lesquels il avait déjà cherché à se faire des amis à la cour du duc de Bourgogne, et en chargeant Olivier d’en reprendre la trame interrompue, dès qu’il lui serait permis de sortir de leur commune prison.

Jamais cet astucieux ministre ne fut plus surpris que dans cet entretien mémorable, de la justesse d’esprit de son maître, et de la connaissance approfondie qu’il possédait de tous les ressorts qui peuvent influer sur les actions des hommes.