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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/70

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CHAPITRE IV.

LE DÉJEUNER.


Juste ciel ! quelles dents ! quel pain !
Sterne, Voyage sentimental.


Nous avons laissé notre jeune étranger en France, dans une situation plus agréable que toutes celles où il s’était trouvé depuis qu’il avait posé le pied sur le territoire de l’ancienne Gaule. Le déjeuner, ainsi que nous l’avons donné à entendre à la fin du chapitre précédent, était splendide. Il y avait un pâté de Périgord, sur lequel un gastronome aurait désiré pouvoir vivre et mourir, comme les mangeurs de lotus dont parle Homère[1], oubliant parents, patrie, et toutes les obligations sociales : sa croûte magnifique semblait s’élever comme les remparts d’une opulente capitale, emblème des richesses qu’ils sont destinés à protéger. Il y avait un ragoût délicieux, avec cette petite pointe d’ail que les Gascons aiment et qui n’est pas indifférente aux Écossais ; et en outre un jambon délicieux qui avait naguère appartenu à un noble sanglier dans la forêt voisine de Montrichard. Le pain très-blanc, des plus délicats, était façonné en boules (d’où les Français ont créé le mot boulanger), et la croûte en était si appétissante, que, même avec de l’eau seule, elle eût été une friandise. Mais l’eau n’était pas seule destinée à l’humecter : sur la table s’élevait un de ces flacons de cuir, appelés botrines, contenant environ deux pintes d’un vin de Beaune exquis. Tant de bonnes choses auraient donné de l’appétit à un moribond lui-même. Quel effet donc ne devaient-elles pas produire sur un jeune homme à peine âgé de vingt ans, qui dans les deux jours précédents, (car, après tout, il faut dire la vérité) n’avait pour ainsi dire rien mangé que les fruits à demi mûrs que le hasard lui avait permis de cueillir, et une ration bien modique de pain d’orge. Il se jeta d’abord sur le ragoût, et le plat fut bientôt vide ; puis il dirigea sur le superbe pâté plusieurs attaques successives, dont chacune pénétra jusqu’au cœur de la place ; et, pour soutenir ses forces, il arrosait chaque morceau d’un verre de vin, au grand étonnement de l’aubergiste, et au grand amusement de maître Pierre.

  1. Odyssée. Les Lotophages, peuple qui habitait la côte septentrionale d’Afrique. Le lotus est une espèce de jujubier. a. m.