Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/150

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

considérant combien les caprices extravagants des chevaliers de cette époque approchaient de la folie, il ne paraissait nullement sans danger de rencontrer un homme portant les emblèmes de la Mort, seul et au milieu d’une forêt déserte. Quels que fussent néanmoins le caractère et les intentions du chevalier, elle résolut de l’accoster avec le langage et les manières usitées dans les romans en semblables occasions, espérant que, quand même il serait fou, il pourrait être pacifique et sensible à la politesse.

« Sire chevalier, » dit-elle du ton le plus ferme qu’elle put prendre, « je suis vraiment fâchée si, par mon arrivée soudaine, j’ai troublé vos méditations solitaires. Mon cheval, s’apercevant, je crois, de la présence du vôtre, m’a amenée ici sans que je susse ce que j’allais rencontrer. — Je suis un être, » répondit l’étranger d’un ton solennel, « que peu de gens cherchent à rencontrer avant que vienne le temps où ils ne peuvent plus m’éviter. — Sire chevalier, répliqua lady de Berkely, vous parlez de manière à mettre vos paroles d’accord avec le rôle terrible qu’il vous plaît de jouer. Puis-je m’adresser à un homme si formidable pour lui demander quelques instructions relativement à la route que je dois suivre au milieu de ce bois sauvage ? Pourrait-il m’apprendre, par exemple, comment se nomme le château, la ville ou l’hôtellerie la plus proche, et par quel chemin je puis y arriver le plus promptement ? — C’est une singulière audace, répondit le chevalier de la Tombe, que d’oser entrer en conversation avec celui qu’on appelle l’inexorable, l’implacable, et l’impitoyable, celui que même le plus misérable des hommes craint d’appeler à son secours, de peur que sa prière ne soit trop tôt exaucée. — Sire chevalier, reprit lady Augusta, le caractère que vous avez pris, incontestablement pour de bonnes raisons, vous ordonne de tenir un pareil langage ; mais quoique votre rôle soit bien lugubre, il ne vous impose pas, je présume, la nécessité de rejeter cette courtoisie à laquelle vous devez vous être engagé en prononçant les nobles vœux de la chevalerie. — Si vous consentez à vous laisser conduire par moi, reprit le fantôme, il est une seule condition à laquelle je puis vous rendre service : c’est que vous suiviez mes pas sans m’adresser aucune question sur le but de notre voyage. — Je crois qu’il faut me soumettre à vos conditions, répondit-elle, s’il vous plaît en effet de vouloir bien me servir de guide. Je pense que vous êtes un de ces malheureux gentilshommes d’Écosse qui sont maintenant en armes, dit-on, pour la défense de leurs libertés. Une téméraire entreprise