Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/213

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ronan se ressentit de la décadence du bourg, ce qu’il faut attribuer à diverses circonstances. D’abord la grande route avait été détournée de l’endroit où elle passait auparavant, la montée étant meurtrière, comme le disaient les postillons, pour les pauvres chevaux. On pensait cependant que le refus obstiné de Meg de leur donner à boire gratuitement et de se prêter à l’échange qu’ils proposaient, d’une certaine portion de l’avoine de leurs bêtes contre du porter et du whisky, on pensait, dis-je, que ce refus n’avait pas peu influé sur l’opinion de ces braves gens, et qu’avec le secours de la pioche, ou eût pu rendre le chemin plus facile. C’était une injure que Meg ne pardonnait pas aisément aux gentilshommes de la contrée qu’elle se souvenait d’avoir vus, pour la plupart, lorsqu’ils étaient encore enfants. « Leur père, disait-elle, n’aurait pas agi ainsi envers une femme sans appui. » D’un autre côté, la décadence du village lui-même, qui avait été habité par un grand nombre de tenanciers feudataires et par quelques lairds propriétaires, avait fait bien du tort à l’auberge ; car ils s’y réunissaient jadis, au moins deux fois la semaine sous le nom de club des siroteurs, pour boire de l’eau-de-vie ou du whisky mélangés avec de la bière : ces avantages avaient disparu.

Le caractère et les manières de l’hôtesse écartaient d’ailleurs toutes les pratiques appartenant à cette classe nombreuse de gens qui ne reconnaissent pas dans l’originalité une excuse suffisante pour violer impunément le décorum, ou qui, accoutumés peut-être à être mal servis chez eux, aiment à jouer le grand seigneur dans une auberge, à recevoir un certain nombre de courbettes, et attendent des discours respectueux et des adulations en réponse à des allez au diable[1] ! qu’ils lancent à la figure des garçons, à l’hôtesse et à toute sa maison. Ceux qui s’abandonnaient à de pareilles sorties à l’auberge de Saint-Ronan recevaient de Meg Dods la monnaie de leur pièce, heureux de s’échapper de la maison sans avoir eu les yeux de la tête arrachés entièrement, et sans être plus étourdis que s’ils eussent entendu la formidable décharge d’une artillerie de bataille.

La nature avait formé l’honnête Meg pour de pareils combats, et comme son âme courageuse s’y plaisait, tous ses dehors étaient à l’avenant, comme dit Tony Lumpkin[2]. Ses cheveux d’une

  1. God damned ! Dieu vous damne ; c’est une des malédictions employées par l’Anglais mécontent. a. m.
  2. Personnage de la pièce de Goldsmith, She stoops to conquer. a. m.