Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/240

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jouter que c’était un grand homme maigre, dont les sourcils se touchaient, avec une perruque noire mal arrangée, et bâillant des deux côtés de la tête dont elle s’écartait. Il résidait neuf mois sur douze à Saint-Ronan, et passait pour en tirer un bon parti, vu surtout qu’il jouait admirablement le whist.

Le premier par la place qu’il occupait à table, quoique peut-être le second en autorité réelle si on le comparait au docteur, M. Winterblossom était une espèce de personnage poli, étudié et précis dans ses discours, portant une queue et de la poudre, des boucles de jarretières ornées de pierres de Bristol, et un anneau-cachet aussi grand que celui de sir John Falstaff. Dans sa jeunesse il possédait un peu de bien qu’il avait mangé comme un homme bien né, en se mêlant au beau monde : c’était, en un mot, un de ces respectables anneaux qui lient les fats de nos jours à ceux du siècle dernier, et il pouvait, par sa propre expérience, mettre en parallèle les folies de ces deux classes d’individus. Sur les derniers temps, il avait eu assez de bon sens pour sortir de cette vie dissipée où il avait délabré sa santé et diminué sa fortune.

M. Winterblossom vivait depuis lors d’une petite pension viagère : il avait trouvé un moyen de concilier son économie forcée avec son goût pour la société et la bonne chère, en remplissant les fonctions de président perpétuel de la table d’hôte des Eaux de Saint-Ronan. Là il avait coutume d’amuser la société en racontant des histoires sur Garrick, Foole, Bonnel Thornton et lord Kellie, et en développant ses opinions en matière de goût et de vertu. Excellent découpeur, il savait servir à chaque convive exactement ce qui lui revenait, et ne manquait jamais de se réserver un morceau convenable comme récompense de la peine qu’il se donnait. Enfin, il était doué de quelque goût en fait de beaux-arts, du moins en peinture et en musique, quoiqu’il y eût en lui plus de connaissances techniques que de ces inspirations qui échauffent le cœur et élèvent les sentiments. Il n’y avait en effet, dans M. Winterblossom, rien qui ressemblât à la chaleur ou à l’élévation. Il était rusé, égoïste et sensuel ; mais il cachait ces deux dernières qualités sous un vernis de complaisance et d’urbanité. Ainsi, dans son anxiété prétendue et apparente à faire les honneurs de la table avec le meilleur ton possible et la plus pointilleuse étiquette, il ne permettait jamais aux domestiques de servir aux autres ce qui leur manquait, jusqu’à ce qu’il eût été largement pourvu à tout ce qu’il pouvait souhaiter pour lui-même.