Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/278

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tout dit… j’ai une question à vous faire de mon côté…. une seule question… n’eussé-je qu’assez de vie pour la prononcer : Vit-il encore ? — Il vit, répondit Tyrrel, » mais d’un ton de voix si bas que l’oreille délicate et attentive de miss Mowbray était seule en état de saisir des sous si faibles. — Il vit ! s’écria-t-elle… Il vit ! et la tache de sang qui couvre vos mains n’est donc pas empreinte d’une manière ineffaçable… Tyrrel ! si vous saviez la joie que cette assurance me donne ! — De la joie, répliqua Tyrrel… de la joie parce que le misérable qui a empoisonné notre bonheur vit encore ?… parce qu’il vit peut-être pour vous réclamer comme son bien. — Jamais ! jamais !… il ne l’oserait, » répliqua Clara d’un air égaré, « tant que l’eau, le fer, le poison pourront donner la mort ; tant qu’il y aura un précipice sur la montagne ou un gouffre dans la rivière… Non jamais ! jamais ! — Calmez-vous, ma chère Clara, dit Tyrrel ; je ne sais ce que je disais… Il vit en effet… mais loin d’ici ; et, je l’espère, pour ne revoir jamais l’Écosse. »

Il en eût dit davantage si, agitée par la crainte ou par la rapidité de ses sensations, elle n’eût frappé son cheval avec son fouet. L’animal, plein de vivacité, se sentant ainsi excité, et en même temps retenu par la bride, devint tout-à-fait intraitable : il se cabra tellement, que Tyrrel craignant les conséquences, et s’en rapportant à l’adresse de Clara, pensa que pour sa sûreté il devait lâcher les rênes. L’animal s’élança aussitôt en avant, parcourant d’un pas rapide le sentier escarpé et raboteux, et se perdit en peu de temps aux yeux inquiets de Tyrrel. Celui-ci se disposait à suivre son amie pour s’assurer qu’il ne lui serait pas arrivé d’accident, lorsqu’il entendit les pas d’un autre cheval ; et, s’étant mis à l’écart, il vit passer rapidement M. Mowbray et son domestique. Leur présence le rassura sur le compte de miss Mowbray. Plongé dans de profondes et tristes réflexions, sentant qu’un séjour prolongé dans le voisinage de Clara ne pourrait qu’ajouter à leur commune misère, et cependant incapable de s’arracher à ces lieux et de briser des sentiments trop étroitement liés à toutes les fibres de son cœur, il retourna vers son logement dans une situation d’esprit peu digne d’envie.