Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/351

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vexés sans cesse par les garde-chasses et leurs domestiques, nous nous établîmes, l’année suivante, dans ce petit village de Saint-Ronan, où il n’y avait encore ni eaux, ni beau monde, ni tables de jeu, ni personnages grotesques, à l’exception d’une vieille imbécile d’hôtesse chez qui nous logions. Le lieu nous plut. La vieille aubergiste, connaissant un certain drôle, agent d’un gentilhomme qui ne résidait pas dans ses domaines, nous fit obtenir la permission de chasser sur ses terres ; ce dont nous profitâmes, moi avec ardeur, Francis avec plus de modération. Il était, en effet, d’un caractère grave et réfléchi, et souvent à l’usage du fusil il préférait des promenades solitaires dans les beaux sites sauvages dont le village est entouré. J’en éprouvais plus de plaisir que de peine, simplement parce qu’il était désagréable de me trouver toujours avec un individu dont la fortune semblait en opposition directe avec la mienne ; mais mon gentilhomme avait meilleur goût que je ne pensais, et s’il ne cherchait pas des coqs de bruyère sur la montagne, il avait découvert un faisan dans le bois.

— Clara Mowbray, fille du seigneur des domaines plus pittoresques que riches de Saint-Ronan, était alors à peine âgée de seize ans : c’était une aussi vive, une aussi belle nymphe des bois que l’imagination peut la concevoir… simple comme un enfant pour tout ce qui concernait le monde et ses usages, fine comme l’ambre dans toutes les connaissances qu’elle avait trouvé l’occasion d’acquérir, ne craignant de mal de la part de personne, et douée d’un esprit dont le naturel et la vivacité répandaient l’amusement et la gaîté partout autour d’elle. Ses actions étaient libres de toute contrainte et réglées par son seul caprice ; car son père, vieillard morose et grondeur, était cloué sur son fauteuil par la goutte, et son unique compagne, fille d’un rang inférieur, élevée dans la plus grande déférence pour les fantaisies de miss Mowbray, l’accompagnait à la vérité dans ses excursions à travers le pays, soit à pied soit à cheval, mais ne pensait jamais à contrarier ses désirs ni sa volonté.

« Francis, heureux coquin, fit la connaissance de ces demoiselles, grâce à l’incident suivant. Miss Mowbray et sa compagne s’étaient déguisées en paysannes dans le dessein d’aller surprendre la famille d’un de leurs riches fermiers. Elles avaient réussi à leur grande satisfaction, et s’en revenaient chez elles après le soleil couché, lorsqu’elles furent rencontrées par un manant… une espèce de Harry Jekill, qui, la tête troublée par un verre ou deux de whisky, ne reconnut pas la noblesse du sang sous leur déguisement,