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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/159

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« Et où croyez-vous que vous mènera ce métier ? » dit le magistrat. — Hier j’aurais pu le deviner à coup sûr ; mais je n’en suis pas très-certain aujourd’hui. — Et qu’auriez-vous répondu si l’on vous eût adressé hier cette question ? — La potence, répondit Ratcliffe avec le même sang-froid. — Vous êtes un effronté coquin, reprit le juge ; et comment osez-vous supposer que votre position est meilleure aujourd’hui ? — Oh ! Votre Honneur, il y a une très-grande différence entre un prisonnier détenu sous le coup d’une sentence de mort, et celui qui reste en prison de sa propre volonté quand il ne tenait qu’à lui d’en sortir. Qui m’empêchait de m’en aller tranquillement, quand la multitude enleva John Porteous ? Votre Honneur pense-t-il réellement que je sois resté dans le dessein d’être pendu ? — Je ne sais quel était votre dessein ; mais je sais ce que la loi vous destine : c’est d’être pendu de mercredi en huit jours. — Non, non, » dit Ratcliffe avec assurance, « j’en demande pardon à Votre Honneur ; mais je ne le croirai pas que je ne l’aie vu. Je connais la loi depuis long-temps, j’ai eu plus d’une fois affaire à elle autrefois et récemment ; elle n’est pas si méchante qu’elle le paraît ; j’ai toujours vu qu’elle aboie plus qu’elle ne mord. — Et si vous n’attendez pas la potence, à laquelle vous êtes condamné (pour la quatrième fois, à ma connaissance), puis-je vous demander de vouloir bien me dire sur quoi vous comptez, pour n’avoir pas pris la fuite avec les autres prisonniers ? conduite que, je l’avouerai, on n’attendait pas de vous. — Je n’aurais pas songé un moment à rester dans cette vieille et désagréable maison, si ce n’est que l’habitude m’a donné la fantaisie de vouloir y demeurer, et que j’espère y occuper un petit poste. — Un poste ! s’écria le magistrat. Vous voulez dire un poteau[1] pour y être fustigé ? — Non, non, monsieur, je n’ai jamais eu envie du poteau ni du fouet : après avoir été condamné quatre fois à être pendu par le cou jusqu’à ce que mort s’ensuivît, je pense que je n’ai rien à craindre du fouet. — Alors, au nom du ciel, qu’espérez-vous donc ? — Le poste de second porte-clefs, car je crois qu’il est vacant, dit le prisonnier. Je ne demande pas celui de bourreau[2] ; il ne me conviendrait pas, car je n’ai jamais pu faire

  1. Il y a dans l’anglais un jeu de mots qui roule sur celui de post, qui signifie poste et poteau. a. m.
  2. En écossais le bourreau est appelé lockman, du mot man, homme, et de la petite quantité de farine (en écossais lock) qu’il avait droit de prélever sur chaque sac exposé dans le marché de la ville. À Édimbourg, ce droit a été racheté depuis longtemps ; mais à Dumfries, l’exécuteur des hautes œuvres l’exerce encore ; on l’exerçait encore récemment, en mesurant avec une petite cuillère de fer la quantité qu’il devait prendre. L’expression lock, pour signifier une petite quantité de toute substance sèche, divisible, comme du blé, de la farine ou autre, subsiste encore non seulement dans le langage du peuple, mais aussi dans les lois, où l’on appelle ainsi une petite quantité de farine à payer, pour la mouture urbaine, par exemple.