Aller au contenu

Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/462

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ils sortirent ensemble et suivirent un petit sentier étroit et embarrassé, que les pêcheurs et les bûcherons avaient tracé le long du ruisseau. Chemin faisant, le baron expliqua à Waverley qu’il pourrait sans danger rester quelques jours à Tully-Veolan et même se montrer aux environs, s’il prenait la précaution de se dire chargé d’examiner la propriété par un gentilhomme anglais qui voulait l’acheter. Il lui recommanda d’aller voir le bailli, qui demeurait encore dans la maison du fermier, au petit Veolan, quoiqu’il dût la quitter très-prochainement. Le passe-port de Stanley devait répondre à toutes les questions de l’officier commandant des troupes ; quant aux habitants qui pourraient reconnaître Waverley, le baron lui garantit qu’aucun d’eux ne le trahirait.

« Je suis sûr que la moitié des vassaux de la baronnie, continua-t-il, savent que le vieux laird est dans ces environs, car je m’aperçois qu’ils ne laissent pas même venir ici un enfant pour dénicher des oiseaux, chose que je n’avais jamais pu empêcher complètement quand j’étais en pleine jouissance de mon pouvoir de baron. Souvent même j’ai trouvé sur ma route des provisions que les pauvres gens y déposaient, parce qu’ils pensaient que j’en avais besoin. Dieu les bénisse ! Je leur souhaite un seigneur plus prudent et aussi bon que je l’étais pour eux ! »

Il ne put retenir un soupir ; mais la résignation avec laquelle il supportait son malheur avait quelque chose de respectable et même de sublime. Il ne se laissait point aller à des plaintes inutiles, à une mélancolie chagrine ; il portait son fardeau avec une patience aisée mais grave, sans proférer de plaintes contre le parti dominant.

« J’ai fait ce que je croyais mon devoir, disait-il, et sans doute ils font ce qu’ils croient être le leur. Je m’afflige quelquefois en jetant les yeux sur ces murs noircis de la demeure de mes ancêtres, mais les officiers ne parviennent pas toujours à empêcher les soldats de piller et de dévaster ; et Gustave-Adolphe lui-même le permit souvent, dans l’expédition du colonel Munro avec le régiment écossais appelé régiment de Mackay… Et en vérité, j’ai vu moi-même des châteaux en aussi triste état que l’est maintenant Tully Veolan, quand je servais sous le maréchal de Berwick. Je puis certainement dire avec Virgile Fuimus Troes[1], et voilà la fin d’un vieil air. Mais les races, les familles, les hommes sont restés debout assez long-temps quand ils tombent avec honneur.

  1. Nous fûmes Troyens. a. m.