Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/303

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est trop beau, trop noble, trop aristocratique, pour entretenir des préjugés inhospitaliers contre un pauvre Cavalier proscrit. Je suis convaincu que l’esprit de Pym ou de Hampden a passé dans cet animal, et qu’il continue à montrer sa haine contre la royauté et tous ses partisans. »

Alice répondait alors que Bévis était loyal sous tous les rapports, et que seulement il partageait les préjugés de son père contre les Écossais, préjugés assez violents, ainsi qu’elle était obligée de le reconnaître.

« Eh bien donc ! dit le prétendu Kerneguy, il faut que je trouve quelque autre raison ; car je ne puis supposer que le ressentiment de Bévis n’ait d’autre cause qu’une antipathie nationale. Nous croirons donc que quelque galant Cavalier qui est parti pour la guerre et n’en est jamais revenu a pris ce déguisement pour reparaître dans les lieux qu’il quitta avec tant de regret, et qu’il est jaloux de voir le pauvre Louis Kerneguy auprès de la dame qui fut jadis l’objet de son affection… » En parlant ainsi, il approcha sa chaise, et alors Bévis se mit à gronder plus fort.

« En ce cas, vous ferez mieux de rester à quelque distance de moi, » dit Alice en riant ; « car la morsure d’un chien qu’anime l’âme d’un amant jaloux ne peut être que fort dangereuse. » La conversation que le roi continua sur le même ton, en laissant croire à Alice qu’elle n’avait rien à craindre de plus sérieux que la galanterie d’un jeune page éveillé, donnait lieu à Louis Kerneguy de penser qu’il avait fait une de ces conquêtes qui sont si souvent et si facilement le partage des souverains. Malgré la sagacité de son esprit, il ne remarquait pas assez que le grand chemin à la faveur des dames n’est ouvert aux monarques que quand ils voyagent en grand costume ; mais que, s’ils parcourent le pays incognito, le sentier de la galanterie est pour eux hérissé d’obstacles et de difficultés comme s’ils étaient de simples particuliers.

Indépendamment de Bévis, il y avait un autre membre de la famille qui voyait Louis Kerneguy d’un œil peu amical. Phœbé May-Flower, quoique simple villageoise, connaissait le monde bien mieux que sa maîtresse, et d’ailleurs elle avait cinq ans de plus qu’elle, et étant plus ignorante, elle était plus soupçonneuse. Elle trouva que ce jeune Écossais, si singulier, témoignait plus d’attention à sa maîtresse que son humble condition ne le lui permettait, et qu’Alice de son côté lui accordait plus d’encouragements que Parthenia ne l’eût fait pendant l’absence d’Argalus, car l’ouvrage qui