Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/354

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Et le docteur qui avait servi assez long-temps dans les armées pour avoir pu réunir quelques unes des qualités d’un capitaine de cavalerie à celles d’un théologien, leva sérieusement sur lui sa canne, à la grande joie du coquin dont le respect pour l’Église n’était pas assez fort pour maîtriser son amour du mal.

« Voyons, docteur, si vous tenez ainsi votre canne comme un espadon, et que vous la leviez à la hauteur de votre tête, je vous perce en moins d’une seconde. » À ces mots il fit une passe avec sa rapière non dégainée, comme pour lui porter un coup, mais sans le toucher ; alors Rochecliffe, changeant la position de sa canne de celle d’un sabre en celle d’une rapière, fit sauter l’épée du Cavalier à dix pas hors de sa main, avec toute la dextérité de mon ami Francalanza[1]. En ce moment, les deux parties principales arrivèrent sur le champ de bataille.

« Est-ce ainsi que vous me donnez des preuves de votre amitié, » dit Éverard furieux à Wildrake. Au nom du ciel, que faites-vous avec cette jaquette de fou, et pourquoi ces cabrioles de paillasse ? » Le digne second, un peu confus, baissa la tête comme un enfant surpris en faute, et s’en alla ramasser son arme. En passant près du taillis, il détourna les yeux encore une fois, pour tâcher d’apercevoir, s’il était possible, l’objet caché qui tourmentait sa curiosité.

Charles, encore plus étonné de ce qu’il voyait, s’écriait de son côté… « Quoi ! le docteur Rochecliffe s’est enrôlé dans les rangs de l’Église militante ; il se bat avec mon ami le Cavalier Wildrake ! puis-je prendre la liberté de l’engager à se retirer, attendu que le colonel Éverard et moi avons un compte particulier à régler ensemble ? »

Le docteur Rochecliffe, en cette importante occasion, aurait désiré s’armer de toute l’autorité de ses sacrées fonctions, et intervenir d’un ton qui aurait épouvanté même un monarque, et lui eût fait sentir que l’homme qui lui adressait des reproches avait, pour parler, une autorité plus forte que celle dont il pouvait user maintenant : la faiblesse avec laquelle il venait de s’abandonner publiquement à une folle passion, ne le mettait guère à même de prendre cette supériorité, et il n’était pas vraisemblable que Charles, volontaire comme un prince, et capricieux comme un bel esprit, consentît jamais à s’y soumettre. Le docteur tâcha pourtant de reprendre sa dignité, et répliqua du ton le plus grave, mais en même temps le plus respectueux qu’il pût prendre, qu’il avait aussi

  1. Maître d’escrime italien, alors fameux. a. m.